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Rétif de la Bretonne raconte l’histoire de cette jeune républicaine du Calvados qui, après l’assassinat de Marat par Charlotte Corday, vint à Paris dans le dessein de faire présent de ses faveurs au meilleur sans-culotte, jolie rançon, ma foi, du crime commis par sa compatriote. Geneviève Pomier, elle aussi, offrait ses charmes à tout bon nouvelliste, et cette agréable aubaine ne laissa pas que d’amener plus d’une recrue à la société.

Geneviève avait pour amant attitré le sergent aux gardes Bouville et, à l’occasion, portait son nom. Elle commença naturellement par faire de son sergent un nouvelliste, ce qui le fit renfermer à Bicêtre vers le milieu de 1741. Pour implorer l’élargissement de son prétendu mari, la belle se rendit à la lieutenance de police, d’où elle fut renvoyée chez l’exempt Dureau, qui avait opéré l’arrestation. Comme elle y vint souvent, toujours pour implorer l’élargissement de Bouville, « elle s’aperçut que le fils dudit Bureau se soumettait avec peine à la discipline paternelle. Elle le plaignit beaucoup et ensuite lui conseilla de quitter son père, l’assurant qu’il ne manquerait de rien, lui promettant de lui faire gagner dix écus par semaine. »

Geneviève avait de beaux yeux, elle avait une voix qui persuadait ; elle était gaie, bonne fille, belle fille ; dix écus par semaine, c’était l’indépendance : le jeune Bureau, qui avait dix-neuf ans, suivit la jolie nouvelliste et devint nouvelliste sous le nom de Grandmaison. Rambaud apprit (l’aventure, et Geneviève eut toutes les peines du monde à l’empêcher de la mettre dans sa gazette : faire un nouvelliste du propre fils de l’exempt chargé d’arrêter les nouvellistes, — quel fait divers !

A transcrire des feuilles de nouvelles, moyennant dix écus par semaine, Bureau fils dit Grandmaison coula neuf mois d’un bonheur sans pareil. Geneviève était belle, gracieuse, des plus vives, toujours en train ; elle répétait à Grandmaison qu’elle l’aimerait à la folie tant qu’il mettrait un si grand zèle à son métier de nouvelliste ; quand, un beau jour, pour être entré un peu trop brusquement dans une chambre, « il s’aperçut qu’il n’était pas seul possesseur des bonnes grâces de la Pomier, et que Rambaud les partageait avec lui. » Colère, désespoir, retour chez le père, scène classique de l’enfant prodigue ; mais Geneviève savait la puissance de ses charmes ; elle eut tôt fait de ramener le fugitif et au travail des nouvelles et à des amours moins indiscrètes.