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arrivait le regard hébété, le sourire papelard, ses longs cheveux gras sous un chapeau rabattu ou parfois pris sous un bonnet ; il avait un habit gris râpé, avec des boutons jaunes, des souliers de buffle ou de veau blanc. Comment se défier de ce bonhomme crasseux et idiot ? Le guichetier le laissait passer. Une autre partie de la correspondance parvenait à Rambaud par une jeune fille vêtue d’un casaquin ou pet-en-l’air rayé noir et gris blanc ; son jupon était de damas fond vert à raies blanches, en compartimens, et ses épaules étaient coquettement couvertes d’un mantelet à coqueluchon. Le guichetier de la Conciergerie laissait passer la demoiselle en damas vert, avec moins d’indifférence peut-être, mais avec non moins de bonne grâce que le donneur d’eau bénite.

La demoiselle Bousson, coiffeuse au Palais, dans la petite galerie des prisonniers, et qui avait naturellement ses entrées dans la geôle, était une autre correspondante. Enfin une jeune particulière, de qui le nom est resté inconnu, descendait à des heures déterminées dans une cave, sous le degré du Palais, pour y prendre du vin, ou plutôt pour y remettre à des agens de Rambaud des lettres que ceux-ci allaient porter à la Grand’poste. Et combien d’autres moyens de communication avec l’extérieur, imaginés par l’ingénieux journaliste, sont demeurés inconnus.

Bientôt il ne lui suffit plus de recevoir les visites de ses rédacteurs dans sa prison, Rambaud trouva plus commode de les y avoir auprès de lui. « Je viens d’apprendre dans le moment par Bompard, écrit l’inspecteur Poussot, que Rambaud, à qui il s’est présenté (dans la prison de la Conciergerie) pour avoir de l’ouvrage, lui a dit qu’il lui en donnerait volontiers s’il voulait obtenir par quelqu’un de ses amis une sentence des consuls contre lui, et de le faire conduire prisonnier à la Conciergerie. Ledit Rambaud s’est offert de payer tous les frais. » Sous prétexte de dettes criardes, nos gazetiers se faisaient donc écrouer, ainsi que leurs copistes. « La plupart de leurs copistes, écrit Poussot, et même plusieurs auteurs, étant dans les prisons, ils se trouvent à l’abri des poursuites. » O temps délicieux ! incomparable régime de cette vieille France que nous ne comprenons plus aujourd’hui !

L’abri que les contrebandiers-nouvellistes trouvaient dans les geôles du Roi leur offrait une telle sécurité que le chevalier de