Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/457

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la musique ; l’autre, plus grave, consiste dans l’interprétation générale, et particulière aussi, de la musique elle-même.

Depuis longtemps déjà, les merveilleux spectacles que nous prodiguait M. Albert Carré nous inspiraient une admiration où se mêlait un peu d’inquiétude. Il est vrai que le poète a dit, en latin :


Segnius irritant animos demissa per aurem
Quam quæ sunt oculis subjecta.


Traduction française : L’âme est moins touchée, elle l’est avec moins de force, par ce qui pénètre en notre oreille que par ce qu’on expose à nos yeux. Mais le poète a beau dire, la question qu’il croit avoir tranchée n’en subsiste pas moins, et même, entre la peinture et la musique, entre la musique de théâtre et la pure musique, c’est toute la question. Dans le conflit ou le partage de deux de nos sens, M. le directeur de l’Opéra-Comique pencha toujours, visiblement, pour la vue. Au fronton de son théâtre, — un théâtre de musique, — il aurait pu graver le souhait, ou le conseil, qu’adressent à l’étranger les enfans de Corfou : « Jouissez de vos yeux. » Pour la joie des nôtres M. Carré n’a jamais négligé rien, hormis quelquefois la musique. Hâtons-nous de rappeler, à sa décharge, que trop souvent la musique à lui proposée, imposée peut-être, était pour le moins négligeable. Alors, comme il ne pouvait rien faire d’elle, autour d’elle il faisait de son mieux. N’ayant pas d’âme, et de corps à peine, elle recevait de lui le vêtement et la parure. « Que la lumière soit, » disait-il, et la lumière était, à défaut du son. Alors aussi, devant l’apparence visible qu’il savait donner à ce néant sonore, nous nous sentions, en dépit et comme au sein de notre plaisir même, abusés et vaguement dupes. Nous finissions par douter si M. le directeur de l’Opéra-Comique était venu pour la gloire de la musique ou pour sa ruine et si, dans son œuvre enchanteresse et périlleuse, le maléfice peut-être ne l’emportait pas sur le bienfait.

C’est un problème que nulle musique au monde ne pouvait résoudre aussi bien que la musique de Mozart, aucune autre n’étant au même degré purement de la musique, presque rien que de la musique. Aujourd’hui, la preuve est faite. « Ceci, » — je veux dire la mise en scène, — n’a pas tué « cela, » parce que « cela » ne saurait mourir, étant la musique de Mozart. Mais cela peut souffrir, et la Flûte Enchantée a cruellement souffert.

Elle a pâti, premièrement, d’une mise en scène qui cause à la musique un double dommage : elle l’offusque souvent, et constamment