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elle l’éparpille. La nouvelle version de la Flûte Enchantée ne comporte pas moins de quinze ou seize tableaux, répartis en quatre actes, séparés par trois grands entr’actes et je ne sais combien de petits. D’où la rupture de toute unité et de toute suite, une série de morceaux trop courts finissant par faire une œuvre trop longue ; rien que des hachures et des taches, un papillotage, une trépidation de cinématographe, et, pour l’esprit et les yeux de l’auditeur, une impression d’énervement, de lassitude et d’ennui. Trop de temples et de vestibules de temple, de terrasses et de palais. Trop de décors et, pendant que le décor change, trop d’arrêts et de silences ; la sensation du vide et comme d’un trou, avec un peu de musique autour.

Voilà pour la représentation visible. L’autre, malheureusement, ne fut pas moins contraire au chef-d’œuvre. Il est vrai qu’elle est plus malaisée encore. Après avoir entendu la Flûte Enchantée à Londres, en 1851 ou 1852, Gounod avait raison d’écrire :

« Cette musique est façonnée par des mains si suaves et si pures, que tous ceux qui la touchent ont l’air de rustres grossiers. Je crois qu’il faut, pour la bien dire, un goût tout à fait supérieur et hors ligne. L’ouvrage n’étant pas une conception dramatique, on ne peut pas là se rejeter sur des effets de passion qui sont toujours plus ou moins à la portée de tout le monde. Ici l’auteur n’a employé que des ressources tellement réservées, tellement placides, d’un ordre tellement en dehors des passions et de la vie réelle, qu’il faut, pour s’y plaire, une très grande habitude et un très grand amour de l’idéal, bien plus que du réel. La seule chose qu’on puisse regretter en entendant la Flûte Enchantée, c’est que le lieu de l’exécution soit un théâtre, la loi du théâtre étant la passion, et par conséquent un développement d’accent et de proportions scéniques que les idées purement contemplatives ne peuvent ni amener ni permettre[1]. »

J’ignore si les artistes de l’Opéra-Comique ont « un très grand amour de l’idéal. » Je doute seulement que le répertoire auquel ils sont accoutumés, les Sanga et les Tosca, les Aphrodite, les Clown et autres Chemineau leur en aient pu donner « une très grande habitude. » Vous savez ce que disait l’oracle à Socrate : « Ne fais plus que de la musique. » Les interprètes de Mozart n’ont pas autre chose à faire. Mais pour les chanteurs d’aujourd’hui, c’est la chose la plus difficile, une chose que la plupart d’entre eux ne soupçonnent pas. Le mot fameux de Buffon ne leur est point applicable. Le style, — à

  1. Lettres inédites.