Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/467

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en outre, dans l’œuvre de Reynolds, un dernier portrait de Kitty, — le plus beau de tous, assurément, — qui nous révèle une créature bien différente du ravissant petit oiseau d’amour que nous montraient ces tableaux précédens, popularisés par les plus fameux des graveurs anglais. Cette fois, le jeune modèle est figuré de face, les bras appuyés sur un balcon où se voit aussi, à demi dépliée, une lettre, sans doute écrite à Kitty par l’un de ses amans ; et sans doute la lettre n’aura pas apporté à la pauvre enfant ce qu’elle en attendait, car voici que, maintenant, ses grands yeux d’un bleu gris se sont ouverts tout au large et regardent devant eux, — fixés sur nous, mais certes ne s’apercevant pas de notre présence, — avec un air si nouveau de mélancolie que nous-mêmes ne nous occupons plus ni de l’élégance raffinée de la robe aux manches de dentelles, ni des perles précieuses du collier ou des diamans suspendus aux oreilles, tout entiers à notre désir de pouvoir consoler le profond chagrin qui, doucement, s’exhale de ces yeux rêveurs. Mais, aussi bien, ce portrait n’est-il pas si différent des autres qu’il ne nous aide à en comprendre la signification véritable ; et c’est lui encore qui, mieux que tous les autres, illustre pour nous les documens recueillis par M. Horace Bleackley touchant l’aventureuse et rapide carrière de la plus célèbre, à coup sûr, des grandes courtisanes anglaises du XVIIIe siècle.


Kitty Fisher n’était, d’ailleurs, Anglaise que pour être née à Londres, où son père, l’Allemand Johann Fischer, était venu s’établir aux environs de 1735. Par la race comme par le caractère, cette reine des beautés anglaises était compatriote de la Marguerite de Faust ; et un détail curieux nous prouve que son éducation même, infiniment plus soignée que celle de la plupart de ses pareilles, a dû se faire sous une direction allemande. Lorsque, vers la fin de mars de l’année 1759, un éditeur dénué de scrupules a mis en vente un pitoyable recueil d’anecdotes ordurières intitulé Les Aventures juvéniles de miss Kitty F....r, la jeune femme a cru devoir envoyer, au plus répandu des journaux de Londres, une protestation indignée, qui, du reste, n’a servi qu’à lui valoir de nouveaux ennuis. Mais le fait est que, dans cette lettre intempestive, Kitty avait eu soin d’écrire en majuscules les initiales de tous les noms communs, « Monde, » « Cœur, » « Honneur, » etc., suivant l’habitude allemande ; et il va sans dire que cela encore n’a point manqué de divertir, à ses dépens, le public anglais.

En tout cas, nous pouvons être sûrs que la jeune femme n’a pris conseil de personne pour concevoir et rédiger cette lettre, qu’un