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fâcheux abus de majuscules, comme aussi un ton d’emphase également toute germanique, n’empêchaient point d’être, en somme, assez bien tournée ; et tous les témoignages contemporains sont d’accord, en effet, pour nous la montrer unissant une instruction générale plus que suffisante à cette verve merveilleuse qui, peut-être, a été la source principale de sa renommée. De ses premières années, nous savons seulement qu’elle a été élevée d’abord dans la maison familiale, en compagnie d’une sœur destinée à l’existence la plus régulière. A treize ans, vers l’année 1752, la petite fille, pendant un séjour d’été qu’elle faisait avec ses parens au village de Paddington, a rencontré, dans la même maison, un jeune graveur atteint de phtisie, qui, tout de suite, l’a vivement attirée et touchée ; et une amitié très intime les a liés l’un à l’autre, jusqu’au jour où le jeune Henderson, vite parvenu au dernier degré de son mal, a eu du moins la consolation de pouvoir mourir dans les bras de sa chère Catherine.

À ce premier roman un autre a succédé, infiniment plus banal et plus prosaïque, mais dont les suites allaient durer presque pendant toute la courte vie de Kitty Fisher. Celle-ci avait environ quinze ans lorsque la mort de son père, en réduisant sa famille à la pauvreté, l’avait contrainte, elle-même, à entrer comme apprentie dans un atelier de modiste. C’est là que l’avait découverte un officier, Antoine-Georges Martin, à qui son agréable figure et l’élégance étudiée de ses façons avaient mérité le surnom flatteur de « Cupidon Militaire. » Fils naturel d’un négociant anglais et d’une vulgaire prostituée des rues de Lisbonne, Antoine Martin était, véritablement, l’un des plus beaux jeunes hommes de l’armée du roi George, avec une fraîcheur de teint que ni l’âge, ni la plus crapuleuse débauche ne devaient entamer. Kitty a raconté plus tard que longtemps elle avait résisté aux avances amoureuses de ce séduisant cavalier, infatigable à varier les complimens dont il entremêlait ses promesses : mais enfin complimens et promesses l’avaient décidée à s’enfuir de son atelier pour venir demeurer avec son amant. Ou plutôt, la jeune « midinette » sentimentale avait cédé à l’appel impérieux de son petit cœur. Les joues roses de l’enseigne et ses allures conquérantes l’avaient prise de force, triomphant de ses scrupules de pieuse luthérienne ; et pendant dix ans, désormais, malgré les plus lâches trahisons de son Des Grieux, cette Manon allemande de Londres allait garder pour lui une même tendresse humblement dévouée, toujours prête à abandonner l’amant le plus généreux, dès qu’il plairait à Antoine Martin de la rappeler près de lui.