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et sociale de son temps. Les plus grands personnages de l’État regardaient comme un honneur d’être présentés à Kitty Fisher, depuis le prince de Galles, qui d’ailleurs l’a si profondément offensée par sa parcimonie qu’elle a dû défendre, bientôt, à ses domestiques de le recevoir, jusqu’à l’austère vieux Pitt, dont elle a gardé, au contraire, un souvenir charmant. Les dames, il est vrai, affectaient de mépriser une créature qui, trop souvent, leur disputait l’amour de leurs maris : mais les plus fières ne dédaignaient point de s’informer de ses toilettes, allant même jusqu’à lui faire demander l’adresse de sa modiste, ou le patron d’un de ses « négligés. » Plusieurs chevaux de course portaient le nom de Kitty Fisher ; et, à côté des succès remportés par ces chevaux, le journal le plus « respectable » ne manquait pas à rendre compte des déplacemens ou des relations intimes de leur belle marraine. Tantôt, par exemple, ses lecteurs apprenaient que « miss K. F. » était tombée de son cheval, dans une allée de Hyde Park, sans que, d’ailleurs, l’accident fit prévoir aucune suite grave ; ou tantôt un poète anonyme racontait que le jeune Cupidon, longtemps privé de la compagnie de sa mère Vénus, venait enfin de la retrouver, au Jardin de Saint-James, sous le nom emprunté de Kitty Fisher.

Et toujours, parmi ces triomphes, l’aimable jeune femme conservait cette simple et profonde bonté de cœur qui, jadis, avait adouci les dernières souffrances du graveur phtisique de Paddington. Ses biographies, à ce point de vue, abondent en témoignages caractéristiques, soit qu’elles nous la représentent se constituant, une fois de plus, la gardienne dévouée d’un ami malade, et se résignant à passer pour la servante de celui-ci, afin d’être admise à lui donner ses soins, ou bien qu’elles nous racontent, par exemple, ses démarches assidues en faveur d’un de ses domestiques, injustement condamné à la pendaison. Et toujours, surtout, nous rencontrons des preuves saisissantes de cette longue fidélité de Kitty à son premier amour qui prête, vraiment, à l’histoire de sa vie de « fille perdue » un charme romanesque tout particulier. Sans cesse nous la voyons préoccupée du bien-être et des succès de son « Cupidon ; » et à peine ce dernier revient-il en Angleterre, qu’aussitôt la voici retombant dans ses bras, trop heureuse de pouvoir renoncer pour lui à toute sa gloire mondaine, jusqu’au jour où un nouvel abandon de l’amant adoré la renvoie, de nouveau, à son infatigable cortège de jeunes « roués » et de « vieux marcheurs ! » Cette lettre qui la rend toute pensive et triste, dans le portrait de Reynolds, avec une touchante expression de rêverie désolée au fond de