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chapitre où M. Bleackley, d’après des documens pour la plupart inédits, nous raconte la vie de cette dernière grande courtisane anglaise du XVIIIe siècle.

Fille d’un maître-tailleur de Londres, la véritable Nancy Parsons paraît avoir été une créature merveilleusement intelligente et sagace, le type accompli de la « pécheresse » qui s’est juré de devenir une grande dame. Entretenue tour à tour par le duc de Grafton, premier ministre du roi George, et par le jeune duc de Dorset, elle avait dépassé déjà la quarantaine lorsque, durant l’été de 1776, elle épousa un garçon d’à peine vingt-cinq ans, le vicomte Maynard, que ce mariage imprévu contraignit aussi à s’expatrier. Installée maintenant à Naples, l’ancien modèle de Gainsborough y eut d’abord à subir toute espèce d’humiliations, qui certainement auraient abattu un courage moins solidement trempé : mais elle s’était promis d’être enfin reçue à la cour, et le fait est qu’à cela encore elle est enfin parvenue. Grâce à une certaine poudre envoyée par elle au prince royal, et qui l’a guéri de la fièvre quarte, lady Maynard a vu s’ouvrir devant elle les portes du palais, et bientôt la sœur aînée de Marie-Antoinette n’a plus eu d’amie plus tendrement caressée. L’abandon même de son jeune mari, plus tard, n’a fait que la rendre plus libre de jouir en paix d’une fortune lentement recueillie. C’est en France, aux environs de Paris, qu’elle a vécu ses dernières années, partagées entre les pratiques de la piété la plus « respectable » et des relations mondaines avec les châtelains de son voisinage. A sa mort, en 1814, — s’il faut en croire un récit du temps, — l’évêque du diocèse a permis que, dans l’église du village où se trouvait son château, un pasteur protestant célébrât ses obsèques, en présence de tout le clergé catholique de la région. Lady Maynard avait alors plus de quatre-vingts ans ; et, telle est, en deux mots, la longue carrière de l’adorable créature aux grands yeux de rêve que le génie d’un des plus hauts poètes entre tous les peintres a revêtue, pour nous d’un attrait immortel. Mais combien plus aimable et touchante nous apparaît, après tout cela, l’image légère de la petite amie du vieux Reynolds, accoudée à son balcon dans sa splendide robe aux manches de dentelles, et nous montrant naïvement la lettre qui, sans doute, est venue attrister tout à coup son doux regard d’enfant !


T. DE WYZEWA.