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maintenant ne doutez pas et ne désespérez pas ; vous qui êtes un des sanctuaires de l’action divine, vous n’avez pas le droit de douter de cette action sur le monde. Priez toujours ! Dites toujours : Seigneur, Seigneur, la vérité ! La foi vous viendra. C’est alors seulement que vous serez un poète complet, un grand poète.

« Et maintenant que je vous couronne avec tant de joie et de tendresse, ne soyez pas enivré. Restez modeste. La modestie n’est pas, comme on le prétend, une hypocrite vertu. Telle que je l’entends, c’est un sentiment profond de notre devoir. Du moment que nous sommes plus contens de nous-mêmes qu’il ne faut, nous perdons nos forces, la conscience s’en va, nous travaillons mal, follement et inutilement. Quand les hommes (faciles à l’enthousiasme autant qu’au dénigrement) nous portent bien haut, interrogeons Dieu, et demandons-lui si nous avons fait autant qu’il attendait de nous. Voyons le but de nos efforts : il est immense ! Voyons la sainteté de notre cause : elle est sublime ! Voyons l’aspiration que Dieu nous a donnée pour l’idéal : elle est infinie ! or, rien de ce que nous faisons jour par jour n’est à la hauteur de notre but et de notre désir. Si nous croyons avoir atteint ce but, apparemment il cesse de nous paraître infini et divin. Ce sentiment, cette foi perdus, par quoi serons-nous inspirés ? Par l’amour de nous-mêmes ? Mais nous sommes des êtres finis, bornés, impuissans, mobiles, soumis à la défaillance, au caprice, à l’ennui, à la fatigue, à la maladie. Quand nous créons quelque chose de grand et de beau, savez-vous que c’est un miracle ? oui, c’est un miracle d’en haut. C’est Dieu qui vibre, qui parle, qui agit en nous. N’est-ce pas le moment d’être humbles et reconnaissans ? Que deviendrions-nous s’il nous retirait le feu sacré ? Et il nous le retire, à coup sûr, aussitôt que nous le cherchons en nous seuls.

« Il se fait tard. Bonsoir, mon enfant… » (Paris, 23 décembre 1843.)

Ainsi monte, monte, dans le silence de la méditation nocturne, la pensée du grand écrivain. Son âme, toute gonflée des aspirations indistinctes de l’âme populaire, prend l’essor. Elle montre à Poncy la route sublime, et l’invite à la suivre. Mais Poncy n’est plus ici l’ouvrier de Toulon, c’est l’être collectif qui souffre et qui espère, c’est un symbole. De telles pages, qui ne dépassaient peut-être pas son intelligence, dépassent infiniment sa personne. C’est une voix d’en haut qui