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le Midi en fait éclore, de préférence par une journée de soleil sans mistral. Une âme gracieuse et vibrante, une conversation animée, spirituelle ; un tact exquis ; une absolue délicatesse en toutes choses et des manières à la fois populaires et instinctivement distinguées, qui le faisaient trouver partout à sa place. Solange, juge parfois acerbe des illusions de sa mère, note ceci, de ce crayon qui visait probablement un peu la postérité : « Dévouement cette fois bien placé (cette fois est une perle). Poncy était un cœur d’or, un esprit d’élite, — et l’homme le plus honorable, l’ami le plus sûr, l’âme la plus pure. Fidèle, dévoué, intact. »

Intact. Le mot doit rester. Et c’est parce qu’elle le sentait tel, que George Sand, à cette première lettre tranquille et sereine, en ajoute dès le lendemain une seconde, plus polémique, écho des luttes déjà soutenues, et symptôme de celles qui se préparent :

« Nous vivons encore dans le temps où les races sont comme distinctes, où elles se craignent et se jalousent quand elles ne se haïssent pas. C’est bien étrange après 93, et c’est pourtant comme cela. À Venise, le peuple dit encore dans son dialecte, en parlant des nobles, el sangue blù. En Espagne, presque tout le monde se dit noble ; et je ne sais si l’on trouve un paysan qui comprenne où serait sa vraie noblesse de race. En Angleterre, où l’on a parlé de liberté avant nous, on pratique encore assez tranquillement le régime féodal. Ailleurs, l’homme sans aïeux et sans fortune est serf. Ici, nous n’avons plus que la chimère de la noblesse en général ; l’aristocratie nouvelle se dit sans préjugés ; mais elle se retranche dans la vanité de sa prétendue éducation, et, quand elle caresse l’homme du peuple, c’est encore avec un sentiment de protection, quand ce n’est pas avec un secret instinct de crainte.

« Et c’est tout simple, au fond. Elle sent sous sa main un être plus faible et plus fort ; plus faible en général par le raisonnement ; plus énergique et plus violent par les instincts. Et le bourgeois, qui ne sent pas au fond de son cœur un amour brûlant pour l’humanité ou un courage héroïque pour se dévouer à elle, souffre d’une certaine honte à la vue de cet être dont les défauts, l’ignorance et le malheur condamnent ses théories d’égalité sagement progressive, comme ils disent. Tout ce que P. Leroux disait l’autre soir à propos du National et des politiques sans idées sociales était profondément vrai. Ces bourgeois libéraux n’ont pas les entrailles qu’il faudrait, et leur prétendue démocratie est