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un système de tutelle et de conservation mal fardée du passé.

« Mais laissons-les ; que nous importe ? Leur règne n’est pas destiné à durer aussi longtemps que celui de l’ancienne aristocratie. Ils n’ont pour eux qu’un fait prêt à disparaître, puisque le peuple s’éveille vite, que, malgré la torpeur de ses prétendus tuteurs, il commence comme un aigle au bord du nid à agiter ses fortes ailes et à en secouer la poussière. Maintenant, les bourgeois reconnaîtront peu à peu qu’il faut faire place, non pas seulement à quelques parvenus dont l’intelligence a effacé l’origine et qui viennent s’asseoir à leur banquet, mais à des hommes plus fiers et plus forts qui, sans se déguiser en bourgeois et sans chercher à donner à leur sang la teinture bleue, auront autant de valeur et d’influence véritable sur les esprits que les rhétoriciens et les gradués sortis des collèges. A ceux-là il faudra de plus larges et de plus nobles places que les distinctions et les traitemens pécuniaires. Il leur faudra place au soleil de la renommée sérieuse et de l’estime publique. Il ne sera pas toujours si facile, ni si joli de s’en moquer ; et quand un de ces hommes touchera aux idées de son temps, il y laissera une empreinte plus franche et plus profonde que tous ces beaux discoureurs qui prétendent savoir tant de choses, mais qui, apparemment, n’en savent on n’en veulent aucune bonne.

« Vous êtes le premier de ces hommes nouveaux, mon cher enfant. Vous voilà arrivant, en éclaireur véritable et ouvrant un chemin… » etc. La lettre entière a neuf pages, et celle de la veille en avait cinq ! (25 nov. 1845.)

Ici apparaît l’illusion. Poncy n’ouvrait aucun chemin. Poncy n’était pas à vrai dire un « homme nouveau, » le rôle de porte-flambeau ne lui convenait guère. On ne pouvait le voir ainsi qu’à travers un persistant mirage, ou par ces veillées de travail qui transfigurent toutes choses : « Ma lampe s’éteint, et le jour approche… Je ne peux pas dater, je ne sais ni le jour, ni l’heure. » Le Poncy auquel s’adressent de telles lignes est, comme elles, en marge du temps et de l’heure ; ce n’est pas le vrai Poncy, lequel était plus modeste d’envergure, et « représentatif » à un degré simplement moyen. Mais ce n’était nullement « l’éclaireur » attendu. Le mirage de George Sand n’en est pas moins à noter, puisqu’on voit grâce à lui que, pour elle, autre chose qu’une question littéraire était en cause. La poésie, c’est l’occasion. Ce que voit George Sand à travers Poncy, c’est