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projet de calorifère, surtout, qui broche à tout instant sur le sérieux et le lyrique de la correspondance, a une beauté qu’en tout sens on peut qualifier d’homérique. C’est déjà la bonne dame de Nohant, et il y a de la grand’mère dans cette femme de quarante ans. Voici cependant la félicité qu’elle se forge, si Poncy venait à Nohant :

« On courra les champs le dimanche et les jardins le soir. On dînera ensemble, chacun ayant fait sa tâche ; Maurice, en blouse berrichonne, apportant des croquis d’après nature ; moi, ayant fait mon chapitre de roman ; vous, ayant remué des pierres et des hémistiches ; Chopin ayant composé des mazurkes et des mélodies déchirantes ou mélancoliques, selon l’intensité du soleil ; Désirée ayant soigné son petit amour ; et ma Solange à moi, la plus paresseuse de tous, ayant éreinté son cheval noir ou déchiré son voile aux buissons. Voyons, est-ce que nous n’aurons pas une heureuse vie, nous complétant les uns par les autres, et ne serez-vous pas le plus utile de la famille, vous qui nous bâtirez une demeure matérielle, en nous donnant aussi les jouissances du cœur et les délices de la poésie ? Je crois bien que vous serez proclamé le chef de notre république, puisque vous serez à la fois la pensée et le pouvoir exécutif du gouvernement.

« Dites-moi que vous acceptez… » (6 janvier 1846.)

Mais Poncy soulevait objection sur objection. « Poncy, trop délicat pour accepter, » note le crayon de Solange, décidément lapidaire. Et, à vrai dire, bien des obstacles se dressaient. George Sand, d’ailleurs, abondait avec ses amis en invitations inacceptables, et qu’elle était parfois embarrassée de tenir, vu les multiples exigences de son travail. Poncy devait bientôt en faire l’expérience. Aussi ses visites à Nohant furent-elles forcément espacées. Les événemens vont d’ailleurs mettre à ces projets de réunion plus d’une barrière, sans parler des soucis domestiques, côté Nohant et même côté Toulon.

Côté Toulon, les années 1846 et 1847 furent marquées par deux accidens : en mai 1846, Poncy reçut dans la mâchoire la ruade d’un cheval de soldat, et tout son organisme fut longtemps ébranlé. En août 1847, il fut mordu par un chien qu’on crut enragé. George Sand calma de son mieux ses transes. Heureusement, le chien fut reconnu non hydrophobe.

Côté Nohant, les préoccupations furent tout à fait sérieuses, et de tout ordre : maternelles, intimes, morales, physiques, en