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d’abord et avant tout la propagande. Et, si elle a jeté les yeux sur lui de préférence, c’est qu’il lui a semblé le plus digne jusqu’ici, le plus indemne, le plus « intact, » des fils du peuple que la littérature prolétaire (le seul véhicule alors connu) lui eût révélés. Dès qu’elle l’a vu, dès qu’elle a eu le contact à Nohant, elle le charge d’être le missionnaire de la bonne parole. Ne connaît-il pas, à Toulon, quelques jeunes officiers de marine gagnés aux idées libérales ? Ne peut-il, sur son chantier d’entrepreneur, — car sa situation commence à s’agrandir, — ou sur les chantiers voisins, faire pénétrer les idées de Pierre Leroux et de Louis Blanc dans le cerveau des travailleurs ? Et elle lui envoie dissertations sur brochures, livres sur revues, programmes sur prospectus. Le chantier socialiste chômait moins encore que l’autre. Et cette activité infatigable de George Sand serait admirable, si elle n’était illusoire. Car Poncy, malgré tout son zèle à suivre le mouvement, semble avoir été un apôtre médiocre, et n’avait, en tout cas, rien d’un révolutionnaire. Même, ô ironie des choses ! Solange, qui l’a beaucoup connu et beaucoup aimé, le taxe quelque part de « conservateur. » Des deux, le bourgeois aurait-il donc été l’ouvrier ? La question, si bizarre qu’elle paraisse, peut cependant être posée.

Quoiqu’il en soit, depuis qu’elle a vu Poncy, George Sand ne rêve plus que de le rattacher, peu ou prou, à l’orbite de Nohant. C’est un élément nouveau de vie qu’elle voudrait verser dans ce microcosme d’art et de nature qui l’entoure, et qu’elle règle, anime, enrichit, diversifie à son gré, suivant les lois secrètes et les instincts de son pouvoir de création. Nohant, dès lors, est bien un petit univers en abrégé, une ruche artiste, une sorte de laboratoire social, et l’on y respire une atmosphère spéciale, celle qui est nécessaire au génie de George Sand pour qu’il soit fécond. Sans doute Toulon est loin, et Poncy ne peut être un satellite habituel de la pléiade berrichonne. Cependant il y a des mortes-saisons, qui seront vivantes à Nohant, si Poncy le veut ; et même productives, ou du moins capables d’indemnités, si Poncy veut y consentir. Car George Sand, avec sa bonté maternelle, sait bien qu’on ne déménage point un travailleur avec femme et enfant sans lui offrir au moins l’équivalent de son gagne-pain. Mais justement ! Nohant a besoin de réparations : c’est le cas d’ajouter une aile à la bâtisse ! Et voilà George Sand faisant des plans admirables, en dépit de son budget. Un certain