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aux Filles-Saint-Thomas pour notifier à Mme Doublet que, si de pareilles nouvelles s’échappaient encore de son salon, le Roi la ferait renfermer dans un couvent.

Sartine trouva dans l’hôtel des Filles-Saint-Thomas le même accueil aimable et sceptique que son prédécesseur Berryer y avait trouvé dix années auparavant et le commerce des nouvelles se poursuivit ; si bien que, de 1762 à 1766, il fut question, plus d’une fois encore, d’inquiéter Mme Doublet, ainsi qu’en témoigne la présence de son nom sur les listes des individus poursuivis comme nouvellistes, que la police faisait dresser ; mais, par protection ou par bonne grâce, la charmante femme fut constamment préservée du péril.

Une troisième branche ne tarda pas à se greffer sur la branche d’Argental, comme celle-ci s’était greffée sur la branche Doublet ; l’inspecteur d’Hémery la signale au magistrat :

« Ce n’est point le nommé Lejeune, valet de chambre de M. d’Argental, qui fait les nouvelles à la main ; c’est le nommé Gillet, valet de chambre de Mme d’Argental, qui lui permet d’en faire seulement pour la province et non pour Paris, sur une copie que Mme Doublet donne à Gillet, qui retire six livres par mois de ceux qu’il fournit. »

Gillet emploie un commis, Bassan de Beaumont, qui bientôt en profite pour tirer, des « mémoires » qui lui passent sous les yeux, d’autres nouvelles dont il est seul à avoir le profit. Bureaux de gazettes à la main qui sortent les uns des autres — telle une règle à coulisses. Bassan de Beaumont a donc un nouveau groupe d’abonnés — de la première distinction comme toujours. Gillet découvre l’infidélité de Bassan et le congédie ; mais celui-ci, fort des abonnés qu’il a réunis, s’adresse à un autre fournisseur de « mémoires, » un moine de Saint-Denis, auquel il donne douze livres par mois et qui tient lui-même ses originaux de Gillet ; et Bassan continue son commerce dont les sources sont toujours les registres de Mme Doublet. Il occupe trois copistes et s’abrite sous la protection du commissaire Laumonier, auquel il fait un « service gratuit. » Rien ne manque au tableau. Du val, premier secrétaire de la lieutenance de police, en fait un croquis d’ensemble :

« M. d’Argental, ministre de l’infant duc du Parme, continue toujours la distribution des nouvelles à la main. Les personnes employées dans son bureau les distribuent en sous-ordre…