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multipliant, car d’autres nouvellistes y puiseront à leur tour informations et idées. Mairobert est un des écrivains qui ont le plus contribué à frayer les voies à la Révolution ; des hommes, de qui la mémoire s’entoure aujourd’hui d’une renommée éclatante, ont eu sur la fin de l’ancien régime beaucoup moins d’action que lui.

En octobre 1770, en présence du flot de nouvelles à la main dont Paris était inondé ; Sartine se décide à sévir. Il ordonne des arrestations, mais, comme précédemment, se voit contraint de respecter le ministre de Parme et ses gens, couverts par l’immunité diplomatique ; il s’en prend à des sous-ordres, notamment à Lamy de Joursan.

C’était un moine qui, après avoir jeté sa robe de bure, s’était sauvé avec une demoiselle Lenormand de Bonnétable jusqu’en Hollande, où il l’avait épousée. Outre la demoiselle, il avait emporté 6 000 livres, que la petite avait prises à son papa. En Hollande, les villes sont tranquilles, industrieuses, tout en briques ; leurs maisons basses et propres se mirent dans des eaux immobiles. Nos amoureux y connurent un bonheur sans mélange, tant que durèrent leurs 2 000 écus ; puis il fallut rentrer en France, où le galant fut mis en prison, au violent désespoir de sa mie, qui, après avoir beaucoup pleuré, trouva de l’argent, on ne sait comme, corrompit le geôlier et fit évader le prisonnier. Pour vivre, Lamy de Joursan entra au service d’un certain Kauffmann, « interprète de la police pour l’allemand, » et, par surcroît nouvelliste à la main. Il se disait autorisé et, de fait, Lamy de Joursan allait chaque jour porter les feuilles de Kauffmann chez l’inspecteur Buhot, qui les soumettait à l’estampille du magistrat. Kauffmann ne tarda pas à découvrir que son secrétaire, — les secrétaires de nouvellistes se suivent et se ressemblent, — rédigeait des feuilles pour son propre compte et lui détournait des abonnés. Le 20 octobre 1770, il le fit donc mettre à la Bastille, où, pour se venger, Lamy dénonça son patron qui ne se contentait pas, disait-il, de rédiger les feuilles soumises à l’inspecteur Buhot, mais d’autres gazettes secrètes, où le gouvernement était attaqué et qui étaient puisées en grande partie dans les « manuscrits » de Mairobert. Voilà donc Kauffmann mis à la Bastille à son tour et qui, lui aussi, pour s’attirer l’indulgence de ses juges, dénonce ses confrères. Il fait des révélations complètes sur les nouvellistes de Paris.