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Les derniers momens du puissant orateur sont contés par Legrain en termes émus :

« Le matin, il aperçut la verdure des arbres de son jardin et dit :

« — Menez mon lit auprès de la croisée, que je la voie avant de mourir. »

« Et il dit, étant arrivé auprès :

« — Belle verdure, tu parais à l’instant que je m’en vais. »

Le récit est très beau, très simple. Figaro écrit de sa meilleure plume ; mais l’émotion devient trop forte, ce sont des phrases heurtées, inachevées, on les lit entrecoupées de sanglots :

« Quelque temps toujours parlait, tout à coup baisse tout à fait ; la parole lui manque. Toujours connaissance jusqu’au dernier soupir, fait signe que l’on lui donne une plume et dit adieu, pour toujours, atout le monde qui était dans les chambres et à tous les Français, fait signe à sa garde-malade (Henriette), qui le soutenait, de se détourner pour ne pas le voir passer.

« C’était une fière révolution dans la rue.

« Comme tout le monde était dans le plus morne silence pendant trois jours… »

On était en avril ; une matinée de printemps, fraîche, baignée de lumière claire, sans soleil ; des brumes légères estompaient de buée humide, argentine, la « belle verdure » du jardin.

Là s’arrête le manuscrit. Legrain s’était retiré, avec la bonne Henriette, à Pontarlier ; mais on y dépanthéonisait Mirabeau comme à Paris. Les fidèles serviteurs retournèrent dans la capitale, où le fils adoptif du grand tribun, G. Lucas de Montigny, les entoura d’égards affectueux.

Et Legrain « en se mettant en écrit, » mit en écrit son maître.

Une belle fin pour Figaro.

Car la Révolution, en proclamant la liberté de la presse, devait clore l’histoire des nouvellistes à la main.


FUNCK-BRENTANO ET PAUL D’ESTREE.