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Et Burckhardt énumère, un par un, avec leurs titres pompeux, tous les cardinaux évêques, et les cardinaux prêtres, et les cardinaux diacres, et César lui-même, fils du Pape, alors cardinal de Valence, qui, à cheval, font au cardinal de Sienne une brillante escorte, et le conduisent jusqu’au-delà de la porte des jardins du Vatican, hors la ville, où ils lui donnent le baiser d’adieu.

« Et le samedi 18 octobre, vers la treizième heure, il se mit en route pour aller remplir la grave mission que le Pape lui avait confiée.

« A la grâce de Dieu[1]. »


Précédé de son porte-bannière, avec la croix d’azur chargée des cinq croissans de l’une des Piccolomini, le cardinal marchait à grandes journées, suivi d’une petite cour de familiers, d’une escorte de secrétaires et de domestiques, et d’une centaine de chevaux et de mules portant les bagages. Pour faire son entrée dans les villes et les villages aux portes desquels l’attendaient le clergé et les délégations des seigneurs et des bourgeois, il montait sur sa haquenée à tous crins frisés ; partout il était somptueusement traité et hébergé par les habitans, comme c’était la coutume.

En route, et pour se reposer, il s’étendait dans sa litière menée par deux mules blanches, toutes harnachées et fanfreluchées de cuir rouge et de franges pendantes, où des croissans d’argent se plaquaient aux poitrails et aux têtières.

Il avait ainsi traversé les États de l’Eglise par Viterbo et Orvieto, et à Chiusi était entré dans cette belle Toscane aux horizons bleus, où tous les châteaux, perchés aux sommets des collines, lui étaient familiers : Sarteano, le berceau de sa famille, et Pienza, du nom de son oncle Pie II[2], où le seul palais des Piccolomini était aussi gros que toute la cité, où tout rappelait l’illustre Pontife.

La nature elle-même et son air « lieto, » la vallée de la Chiana, argentée d’étangs, les cimes bleutées et les forêts sombres du Mont Amiata, entrevues à travers la brume transparente de l’automne toscan, doré et azuré, lui remettaient en mémoire les poétiques descriptions qu’en avait faites cet Enea

  1. Diarium…, vol. II, p. 193, édition Thuasne.
  2. Enea Silvio Piccolomini, pape sous le nom de Pie II (1453-1464).