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Silvio, humaniste élégant en même temps que pape zélé. Et sous ses rideaux entr’ouverts, pendant les longues heures de marche, il rêvait, bercé par le pas allongé des mules.

Bibliophile au goût délicat, passionné comme l’était son oncle pour les beaux « codici, » le cardinal, parfois, feuilletait pour passer le temps un livre aux brillantes enluminures, se complaisant devant quelque couronnement de Vierge, quelque éclatante ascension d’un Christ éblouissant dont le corps émanait de longs rayons d’or ; le chatoiement des couleurs, les infinis détails ravissaient le cardinal, minutieuses dentelures de cyprès rigides et d’arbres grêles, aux feuilles séparément peintes par un moine patient ; et, dans les fonds des paysages diaprés de ces précieuses miniatures, des villes irréelles aux innombrables tours crénelées, Jérusalem aériennes, ressemblaient à ces chers villages toscans aperçus à travers la pourpre adoucie d’un soleil couchant. Là, c’était un Père Eternel, barbu, longuement vêtu d’une robe lilas, qui planait dans une immensité de bleu d’outremer, et les nuages s’entrouvraient à son geste, soutenus par des légions d’anges bien ordonnées, aux féminines figures cerclées de nimbes, en bas, devant un groupe de cardinaux agenouillés, un pape en contemplation, les yeux au ciel, le trirègne en tête, attirait invinciblement le regard du Piccolomini, et aussitôt son rêve prenait corps, sa pensée se concentrait sur cette tiare, permanent objet de ses aspirations, aboutissement secret de tous ses actes.


III. — A SIENNE. — LES PICCOLOMINI. — TIZIO

Posée comme un lourd diadème sur la tête des collines, avec ses hautes tours, si nombreuses et si sveltes qu’elle semblait « une forêt de roseaux, » Sienne apparaissait dans la limpidité du ciel toscan. Déjà André Piccolomini et ses fils Alexandre, Giovanni et Pierfrancesco et leur précepteur, Sigismond Tizio, avaient rejoint le cardinal, au-devant duquel s’avançaient sur la route les députations de la ville, le clergé tout entier en une imposante procession, et les délégués de la Seigneurie, suivis de pages aux costumes mi-partie noir et blanc, et ceux des confréries laïques, des académies, et des corporations, portant leurs bannières emblématiques, et une belle troupe de jeunes gens des premières familles de Sienne, précieusement habillés et