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Ils n’osent s’avouer que cette tiare est pour eux tous le rêve caressé, mais ils résument ainsi le vœu ardent de la ville de Sienne tout entière ; car c’est non seulement un honneur pour une cité, mais un tel profit, que de produire un pape ! Et qui ne se souvient à Sienne que Pie II a appelé à Rome tous ses amis, tous les cliens de la famille, et tant de Siennois, de quelque parti qu’ils fussent ! ç’avait été une véritable émigration vers la Ville éternelle ! et que de charges, de places rétribuées, et de sinécures, de dignités ecclésiastiques, de fiefs, de titres et de fonctions honorifiques ! Les morts eux-mêmes y avaient trouvé leur part : Catherine et Bernardin, compatriotes du Pape, avaient été canonisés par lui ! Grâce à lui, Sienne avait deux saints de plus !

Hélas ! à Sienne, en ce moment, la situation était difficile ! non que le cardinal pût douter du dévouement des Siennois ! mais la tranquillité même de la cité, si remuante d’ordinaire, était un indice grave : calme apparent ! dû à l’indécision craintive dans laquelle on se trouvait à l’approche de ce formidable événement. On souhaitait et on redoutait, à la fois, l’arrivée des Français. Les partis semblaient pacifiés, mais, en réalité, ils se recueillaient, espérant tous la ruine du premier qui se déciderait, — pour ou contre le Roi, — escomptant des troubles à la faveur desquels ils pourraient renverser le « mont des Neuf » alors au pouvoir, et se partager ensuite le gouvernement. Pandolfo Petrucci et son frère, chefs des « Neuf, » penchaient visiblement du côté du Très-Chrétien, dans l’espoir de s’appuyer sur son autorité pour devenir définitivement les maîtres de la République en écrasant leurs adversaires. Et, de ce nombre, par leur inscription au « mont du Peuple, » étaient les Piccolomini, dont l’influence devenait chaque jour plus suspecte aux Petrucci. Là était l’écueil, et il pouvait être en ce moment dangereux de s’élever contre le secret désir de tous les partis, et d’engager la République dans une voie qui risquait de la mener à sa perte.

Quant au Roi de France lui-même, peu de chose ! le cardinal en viendrait facilement à bout ! — et Tizio en a long à raconter sur le compte de Charles VIII ! tous les jours, le précepteur va chez son ami, le droguiste, où se tient la réunion des nouvellistes, — car, à cette époque déjà, par toute l’Italie, les boutiques des speziali sont les rendez-vous des bavards désœuvrés et