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des politiciens ; le Roi, raconte-t-on, est petit et mal fait, plus semblable à un monstre qu’à un homme, laid de visage avec de gros yeux blancs plus aptes à voir mal que bien, un long nez, crochu comme un bec, et les lèvres toujours ouvertes ; il en sort un langage grossier, embarrassé et nullement royal ; continuellement occupé à la chasse et aux joutes d’armes, il laisse à ses conseillers le soin des affaires ; mais on dit pourtant qu’il décide à sa volonté, et que tous obéissent.

Le seigneur de Beaucaire [Etienne de Vesc, sénéchal de Beaucaire] et l’évêque de Saint-Malo, Briçonnet, ce vieux veuf que l’ambition des dignités de l’Eglise a pris sur le tard, ont pourtant l’oreille et la confiance du Roi, ce sont eux surtout qu’il faut se concilier.

Ah ! malheureuse époque, où l’on peut voir une armée de barbares troubler la précieuse civilisation de l’Italie, menacer même le royaume de l’Eglise ! Ah ! pourquoi Dieu vient-il de les rappeler tous, les héros italiens, et Ferdinand de Naples, et Frédéric d’Urbin, et Laurent le Magnifique, dont le génie politique et le courage n’eussent jamais permis cette insolence des ultramontains[1]

Mais tous ces bavardages n’étaient pas pour faire douter le cardinal, ni André, ni même Tizio, du succès de la mission. Et d’abord, le Roi n’était pas encore arrivé au territoire de Florence, et il trouverait là une dure partie à jouer, manquant sans cesse d’argent pour solder ses troupes. Les Français allaient s’engager dans un pays difficile, la Lunigiane, montagnes stériles, et dans la plaine, des marécages marins, profonds, traversés seulement par une chaussée, tellement étroite, qu’une charrette en travers, une pièce d’artillerie et quelques soldats, suffiraient pour arrêter toute l’armée. Et les citadelles de Sarzane et de Pietra Santa, perchées sur la montagne, défendent les passages de la route. Quant à Piero, tout acquis au parti aragonais, on savait de source certaine qu’il venait d’appeler Paolo Orsini avec de la cavalerie et trois cents fantassins pour garnir ces forteresses ; et d’autre part, les vaisseaux de Naples tenaient la mer.

Et puis, n’y avait-il pas encore toute l’armée du duc de Calabre pour prendre à gauche l’armée du Roi ? et les seigneurs de Bologne et des Romagnes attendant le premier succès du duc de

  1. Tizio, Historiæ Senenses, t. IV, f° 218 et 209-10.