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n’était qu’un remède provisoire, façade majestueuse qui dissimulait à peine les désordres internes. Ces désordres, l’événement devait le prouver, pouvaient placer le problème sur un terrain différent de celui où la conférence s’était efforcée de le résoudre. Et d’ailleurs, l’entente acquise sur les principes n’excluait pas les conflits éventuels dans leur application. La longue obstination de l’Allemagne à discuter nos prétentions légitimes avait créé, d’autre part, chez nos hommes politiques un état d’esprit nouveau. Ceux qui, comme MM. Rouvier ou Léon Bourgeois, avaient été le plus désireux d’un accord franco-allemand, sortaient de cette crise avec une lassitude découragée et doutaient de la possibilité de l’œuvre à laquelle, pourtant, ils avaient travaillé de leur mieux. Du côté allemand, même fatigue, et mauvaise humeur égale. L’Empereur, excédé par le détail épineux d’un conflit qu’il n’avait pas souhaité, gardait rancune aux adversaires que ce conflit avait dressés sur sa route. Le chancelier, énervé par une lutte dont l’ampleur avait dépassé ses prévisions, était obligé de consacrer des mois au rétablissement de sa santé. M. de Tschirschky, secrétaire d’État à l’Office impérial des Affaires étrangères, apportait dans un poste nouveau pour lui plus de droiture que d’autorité. Enfin, les influences gallophobes n’avaient point désarmé. Sans doute, M. de Holstein, metteur en scène de l’affaire marocaine, venait de prendre sa retraite. Mais il gardait, dans cette retraite même, un singulier crédit, que son intimité persistante avec le prince de Bülow pouvait de nouveau rendre actif.

La France et l’Allemagne étaient donc face à face, en état de trêve plutôt que de paix, avec un égal désir d’éviter les chocs, une égale impuissance à les prévenir. A l’apaisement des années précédentes, de 1895 à 1902, une nervosité avait succédé, qui agitait autant l’opinion que les milieux gouvernementaux. La direction politique était à la merci des événemens. On ne concevait ni la forme d’un accord positif, ni les moyens de le préparer.


II


Le Maroc, pendant trois années, devait continuer d’être, moins par l’effet des volontés que par celui des circonstances, le