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conséquences. » Nous figurons-nous ces mots-là dans la bouche d’une déesse païenne, d’une déesse d’Hellade : « Self-reverence, self-knowledge, self-control ? » Cela n’empêche pas que le poème ne brille, çà et là, de touches exquises, délicieusement antiques, où nous reconnaissons l’humaniste de Cambridge. Mais la pensée reste moderne et le fond bien anglais. On ne peut se défendre de se rappeler ici, pour peu qu’on les ait vus une fois, ces dignitaires et ces « gradués » des Universités d’outre-Manche qui, dans leurs fêtes, savent poser avec tant de liberté la toge médiévale sur le vêtement d’aujourd’hui.

La curiosité de Tennyson ne se cantonne pas dans l’antiquité. À ce domaine consacré de nos classiques elle ajoute celui de nos romantiques, le moyen âge et l’Orient. L’influence de W. Scott d’une part, de Thomas Moore et de Southey de l’autre, se retrouve, mais non pas leur esprit, ni leur manière, dans des ballades comme La dame de Shalott, Lady Clara Vere de Verc, Souvenirs des Mille et une Nuits. Elles ont déjà l’accent personnel de Tennyson, une certaine résonance profonde du sentiment et la marque de son imagination élégante, riche et de noble goût, comparable à un de ces « studys » anglais ouverts sur un parc dont une glace, encadrée dans une étagère chargée de beaux livres, reflète les verdures.

Enfin, comme les poètes qui chez nous ont succédé au romantisme, comme quelques-uns de nos romantiques eux-mêmes, dès que fut calmé leur premier élan d’inspiration personnelle, et apaisé, si l’on peut dire, cet appétit de confession, ce maladif besoin de parler de soi, Tennyson arrête ses regards sur la réalité toute proche, sur la poésie des humbles existences et des jours ordinaires ; il reprend l’idylle anglaise, la peinture de l’amour honnête dans un paysage tranquille[1]. Plus tard il surpassera son maître, et Wordsworth lui rendra ce témoignage : « Mr Tennyson, j’ai essayé toute ma vie d’écrire une pastorale comme votre Dora, et je n’y ai pas réussi. »

Mais il n’en est pas encore là. Dans tous les sujets que lui fournissent sa large culture ou sa jeune expérience, il trouve surtout des occasions de fortifier, d’assouplir ses facultés d’artiste épris de perfection, d’étendre la matière de son art et d’y égaler les ressources de sa forme. On peut lui reprocher de

  1. The Miller’s Daughter.