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poèmes où il exerçait sa fonction. Ils n’ont rien d’une poésie de commande. On les a beaucoup trop négligés dans les études françaises consacrées à Tennyson. Ils sont une part significative et durable de son œuvre.

En tête de ses œuvres se trouve, depuis l’édition de 1851, une dédicace A la Reine : c’était l’hommage du nouveau Lauréat. Il y exprime son profond respect pour la souveraine qui l’honora de cette dignité et de son amitié. La vénération s’élève au-dessus des formes artificielles d’un respect imposé. Elle unit au sentiment d’une destinée supérieure, d’une mission bénie, la confiance et l’amour :


Puissiez-vous nous gouverner longtemps, — et nous laisser des chefs de votre sang, — aussi nobles jusqu’au plus lointain des jours. — Puissent les enfans de nos enfans dire : — Elle fit à son peuple un bien durable ; — sa cour était pure, sa vie sereine ; — Dieu lui donna la paix ; la terre le repos ; — elle avait tous les titres au respect, — comme mère, comme épouse et comme reine ; — et des hommes d’État se rencontrèrent à son conseil — qui savaient le moment opportun de prendre — l’occasion par la main et de faire — les limites de la liberté plus larges encore — en élaborant quelque auguste décret, — qui maintînt son trône inébranlable — sur les larges basée de la volonté de son peuple — et derrière les remparts de la mer inviolée.


Le sentiment de fidélité prend dans ces vers un accent personnel qui atteste sa force héréditaire. Plus curieuse encore à cet égard est la lettre que Tennyson écrivait à Victoria après sa première visite :

« Chère et honorée Dame, ma Reine, —… Je ne parlerai pas de « mon loyalisme » ni de « Votre Gracieuse Majesté, » car ce sont de vieilles banalités dont tous les courtisans ont usé et abusé ; mais je veux vous dire que, durant notre entretien, j’ai senti le contact de cette amitié vraie qui est un lien entre les êtres humains, rois ou savetiers… » Une sincérité si familière, loin de diminuer le respect, le fait plutôt participer à la noblesse des plus grands sentimens naturels, immerge en quelque sorte dans la vie même de l’individu le sentiment monarchique et lui donne une place intermédiaire entre les sentimens de famille et le sentiment religieux. Dès lors la poésie de Tennyson est mêlée à la vie de la souveraine ; elle apporte ses consolations aux heures douloureuses, ses paroles de joie dans les jours de fête. Elle est la voix de tous, plus sublime et plus pure ; elle exprime l’union