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du peuple et de la Reine, et en même temps elle la resserre, car elle en fait une relation personnelle qui ne garde plus rien d’abstrait, un lien vivant, une « amitié » où l’ordre politique s’identifie à l’ordre naturel et humain.

En 1851, la mort du duc de Wellington offrit au Lauréat l’occasion de sa première grande manifestation publique. Il n’en devait point « retrouver une pareille, et cette Ode reste le plus noble poème auquel ait jamais donné naissance cette fonction.

M. Henry van Dyke l’a entendu lire par l’auteur en août 1892, et son impression nous aide à mieux goûter le poème. Les deux premières strophes peuvent être regardées comme un prélude où l’on entend la rumeur confuse d’une multitude assemblée : ceux pour qui il a travaillé, ceux pour qui il a bataillé… Puis voici les premières mesures de la marche funèbre, lente, monotone, avec les lourds battemens marqués par la répétition d’une seule rime. La quatrième strophe est un intermède : le poète, regardant le cortège, revoit le héros tel qu’il avait coutume de se promener dans les rues de Londres et rappelle la simplicité et la force de son aspect et de son caractère. Le défilé continue. La musique est dominée par la sonnerie répétée de la grosse cloche de la cathédrale de Saint-Paul, puis par les décharges de mousqueterie quand le corps est porté dans l’église. La fin de la cinquième strophe s’ouvre, comme une avenue de chant, devant l’hymne des strophes VI, VII et VIII. Nelson s’éveille dans sa tombe et demande quel est celui qui vient reposer à côté de lui. La réponse éclate dans les chants de l’orgue et du chœur ; ils célèbrent les glorieux exploits du guerrier, l’homme d’Etat, sa conduite et ses conseils, le désintéressement de l’homme privé et l’intégrité de son caractère, puis s’éteignent dans une sorte de finale qui, comme une fugue, court de note en note sur le mot « honneur… » Un grand silence, et la neuvième strophe s’élève, calme solo où Tennyson entendait la voix d’une femme, une douce voix qui chante un chant de paix, d’amour et d’immortalité. Tendre et désolée d’abord, elle part d’un grand élan d’espérance, puis se fait solennelle et triste quand la tombe se ferme sur le cercueil, et termine dans le calme et la confiance, sur la victoire de la foi : « Ne parlez plus de sa renommée. — Déposez ici vos terrestres chimères — Et laissez-le dans la vaste cathédrale : — Que Dieu l’accepte, que Christ le reçoive. »

R. L. Stevenson pensait que cette Ode n’avait jamais été