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reculé devant ce barbarisme. Son titre est délicieux et, à l’examiner de plus près, il n’est pas infidèle. Nous avons attaché au terme idylle une idée d’innocence et de « bergerie, » — on pourrait dire, hélas ! de fadeur, — qu’il n’a point à l’origine et qui ne lui convient qu’incidemment. Oublions-nous La Magicienne de Théocrite, ce monologue ardent d’une amoureuse, et les Dioscures, l’Épithalame d’Hélène, l’Héraclès tueur du lion, l’Héraclès enfant, tous ces morceaux épiques et mythologiques, auxquels il faudrait joindre, pour mesurer l’étendue et la variété du genre, les Syracusaines, cette charmante comédie ? Pourquoi le même nom d’idylles ne conviendrait-il pas à ces beaux épisodes, à ces scènes détachées, à ces tableaux gracieux, colorés ou pathétiques, choisis par le poète dans la plus merveilleuse et la plus riche des légendes nationales, la Légende de la Table Ronde ? Et n’est-il pas juste que nous pensions aussitôt à une fraîcheur, à une vivacité, à une perfection renouvelées de l’antique, devant ce génie pourtant si anglais, auquel notre mémoire française serait tentée d’associer les noms de Chénier et de Mistral ?


VI

A travers ces manifestations diverses, le génie de Tennyson n’avait peut-être pas trouvé sa suprême expression. Il est une petite partie de son œuvre, une poignée de poèmes immortels, où sa profonde humanité se suffit à elle-même et n’emprunte plus rien ni aux ornemens de l’art, ni aux lumières de la pensée, ni au sens de la vie nationale, individuelle ou collective, ni aux prestiges de l’imagination : elle comble sa mesure et se révèle tout entière dans le plus simple et le plus émouvant pathétique. Pareillement, son lyrisme, dégagé de tout élément adventice, monte au ciel comme une flamme pure, comme un immatériel parfum. Tennyson dépasse alors son temps, son pays, et s’égale dans l’absolu aux plus divins poètes de tous les pays et de tous les temps.

Pour voir jusqu’où peut aller son pathétique, il faut lire Rizpah et A l’hôpital des enfans. Swinburne disait que, si toutes les autres œuvres de l’auteur étaient détruites, Rizpah suffirait à le placer parmi les premiers poètes du monde. C’est la lamentation d’une mère, d’une pauvre vieille femme dont le fils a été