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Emportez avec la vieille année tous nos torts, tous nos tourmens, toutes nos fautes ; emportez ma douleur et mes chants désolés ; ô cloches, apportez avec l’année nouvelle tout ce qui est un bien pour les hommes, l’amour de la vérité et la vérité de l’amour. Sonnez cloches, sonnez l’avènement du Christ. — Rien ne peut donner, en français, l’impression de ce bourdonnement rythmé qui remplit nos oreilles : « ring out, — ring in, — ring out, — ring in…, » de ce va-et-vient sonore dont chaque battement est une bénédiction, parce qu’il apporte, parce qu’il emporte…

A mesure qu’il avançait dans la vie et dans son art, Tennyson excellait davantage dans une poésie tout immatérielle qui a réduit au minimum la part des mots et s’est faite évocatrice. Il donna alors « ces bijoux de cinq paroles qui brilleront à jamais au doigt du temps. » Ils sont, en effet, d’une substance incorruptible, ces diamans d’une eau si pure qui défient toutes les destructions. Ils concentrent en eux les richesses du sentiment et de la pensée ; ils y ajoutent le miracle d’un art poussé au point où il s’anéantit lui-même. On conçoit que cette partie de l’œuvre de Tennyson soit celle dont il est le plus difficile de donner l’idée par des traductions. Que resterait-il par exemple de ce petit chef-d’œuvre intitulé La Grive[1] ? Comment rendre dans notre langue le vers exquis où palpitent ces syllabes si douces dont chacune est un mot qui désigne une des merveilles du printemps : light, leaf, life, love ? Le poète ne les a pas choisis seulement pour leur sens, mais pour leur son, pour ce qu’ils ont d’ailé, pour tout ce qu’ils évoquent, à côté de tout ce qu’ils disent. Dites à la place : lumière, feuille, vie, amour : le charme est évanoui. Et de même, quand l’oiseau gazouille : new, new, new, new, que nous sert d’écrire : nouveau, nouveau, nouveau ? Il faut donc se résignera laisser de tels vers dans le texte. Peut-être restera-t-il davantage de cette pièce d’anthologie :


LE CHÊNE

Vis ta vie, — Jeune et vieux, — Comme ce chêne, — Brillant au printemps, — Or vivant ;

Richesses d’été — Ensuite ; et ensuite — Automne changeant, — teintes atténuées, — Or encore ;

Toutes ses feuilles, — Tombées enfin, — Vois, il se tient, — Tronc et ramure, — Force nue[2].

  1. The Thrush, VII, 121.
  2. The Oak, VII, 122.