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Ces pièces appartiennent à la vieillesse du poète. A sa vieillesse aussi, celles où il atteint au plus pur lyrisme, où s’exhale cette musique intérieure, cette harmonie d’une âme qui a triomphé de toutes les discordances de la vie. C’est la plénitude de sa poésie ; c’est, si l’on peut dire, sa poésie à l’état pur. Il semble qu’elle se soit cherchée à travers les raffinemens de l’art, dégagée à travers les interprétations sincères du réalisme, les combinaisons de l’imagination ; elle a tout animé, tout pénétré, tout transfiguré ; et maintenant, elle est libre, victorieuse, comme affranchie de sa matière et réalisée dans son essence. C’est donc en même temps la perfection suprême de son art. Déjà Tennyson l’avait atteinte chaque fois que l’éther subtil où baignent ses vers, consumant toute leur substance, spiritualisait assez les mots et les rythmes pour les rendre en quelque sorte transparens à l’émotion ou à la pensée. Ces beautés se multiplient dans In memoriam, où l’art du poète en arrive à s’effacer, afin d’éviter tout ce qui ressemblerait à un artifice : Mieux vaut mourir que d’oublier, « car vivre davantage alors, ce n’est plus vivre : »


In more of life true life ne more.


« Mieux vaut avoir perdu l’objet de son amour que n’avoir pas aimé : »


Tis better to have loved and lost
Than never to have loved at all.


Et quelle simplicité encore dans ces émouvantes paroles, un soir que la peine est trop forte, et que, malgré l’effort pour espérer, la volonté de croire, le cœur trop pesant retombe avec un cri :


Considérez que nous ne savons rien ; — Je ne puis qu’espérer dans l’avenir meilleur ; — Tout sera bien, plus tard, peut-être, un jour lointain ; — Et, chaque hiver passé, reviendra le printemps. — Ainsi je vais rêvant, mais que suis-je ? — Un enfant criant dans la nuit, — Un enfant criant après la lumière, — Et qui a tout dit quand il a crié.


Il faudrait lire enfin, pour mesurer la maîtrise, la sûreté du poète, cette admirable pièce CVI, ce carillon de Noël :


Ring out, wild bells, to the wild sky.


A peine en pouvons-nous indiquer ici le thème et le mouvement. 0 cloches qui sonnez, dit le poète, apportez, emportez…