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bretonne ancienne, mais peu fortunée, les bontés de la princesse et d’adroites spéculations dans le système de Law l’avaient enrichi. Il tirait vanité de ses souvenirs, et montrait avec une satisfaction non déguisée de belles argenteries, des diamans, des meubles rares, des tableaux, témoignages positifs de cette princière liaison. Il conservait même dans son cabinet un tableau où la duchesse, méprisant les pudeurs bourgeoises, s’était fait peindre pour lui « sans voiles. » Mme de Genlis, qui le put contempler tout enfant, note ce souvenir dans ses Mémoires, et nous entrevoyons que sa curiosité maligne fut éveillée par les confidences que lui fit à ce sujet sa grand’tante Mlle Dessaleux, sœur de Mme de la Haie : « Je m’arrêtai, dit-elle, devant un charmant petit tableau peint à ravir qui représentait l’enlèvement d’Europe ; j’y remarquai une jolie idée : le taureau tournait de côté sa grosse tête pour baiser un joli petit pied nu d’Europe. Je dis que je trouvais Europe très belle, mais trop grasse : Mlle Dessaleux sourit, et répondit que c’était non une figure de fantaisie, mais un portrait, et celui de la duchesse de Berry, fille du Régent ; alors elle me conta que cette princesse, durant ses amours avec le feu marquis de la Haie, mari de ma grand’mère, s’était fait peindre ainsi pour lui. Je pensai en moi-même, ajoute Mme de Genlis, que si M. de la Haie n’avait eu pour maîtresse qu’une simple particulière, mon austère grand’mère aurait trouvé ce tableau très scandaleux, et qu’elle ne l’aurait pas gardé précieusement dans son cabinet. »

D’esprit peu orné, ne connaissant guère en fait de lectures que des romans, le marquis de la Haie se plaisait à conter aux dames les anecdotes galantes de la cour du Régent, sur lesquelles il était en fonds. Sa femme et sa belle-sœur, la bonne Mme Dessaleux, s’affligeaient souvent de ces propos peu séans. Moreau, historiographe du Roi, qui fréquentait leur maison à Paris et à Verrières, dit même sans ménagement que le marquis « avait l’air et quelquefois le jeu d’un vieux libertin. »

Du ménage Mézières, restaient deux enfans à élever : une fille âgée de seize ans, et un garçon plus jeune. Le marquis était-il le beau-père qui convenait à une jeune fille ? Mme de la Haie trancha la question en plaçant la fillette à l’abbaye de la Malnoue ; elle l’y maintint jusqu’à l’âge de vingt-six ans.

Mme de Genlis, dans ses Mémoires, nous peint sa grand’mère, Mme de la Haie, qu’elle connut, à traversées récriminations