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entendu dire à Mme de Chastellux, qu’un jour, dans une fête donnée à l’occasion des Etats de Bourgogne, elle s’en vint ainsi tomber si prestement, la tête la première, aux pieds du prince de Condé, au mépris de toute la suite de nobles personnages qui s’étaient formés en file hiérarchique, que le prince ne put s’empêcher de rire de cette bizarre entrée, et lorsqu’elle se fut relevée avec la même adresse, reçut de fort bonne grâce sa révérence et ses complimens. Je ne sais ce qu’en pensait plus tard Mme de Genlis lorsqu’elle formulait doctoralement les lois de l’étiquette des cours.

Son père, Pierre-César Ducrest, nous apparaît comme un véritable aventurier. Il avait d’abord pris du service. On lui acheta une charge de lieutenant au régiment d’Hostun. Il dut y renoncer à l’âge de trente-deux ans, à la suite d’une aventure demeurée assez obscure. A en croire Mme de Genlis, venu à Paris sans permission, pour quelque intrigue galante, il aurait été attaqué au guichet du Louvre par trois chenapans et en aurait laissé deux morts sur la place. Le duo d’Hostun, son colonel, le tira d’affaire, mais l’obligea, comme il est assez naturel, à rejoindre sur-le-champ son régiment. Cette paternelle exigence aurait paru inadmissible à Ducrest, qui aurait donné sa démission. Quoi qu’il en soit de cet invraisemblable récit, César Ducrest était, en se mariant, sans état et sans argent.

Les premières années du ménage sont assez errantes. C’est Chancery, qui abrite d’abord les époux, puis Cosne, et enfin Saint-Aubin et Bourbon-Lancy. Saint-Aubin, situé au bord de la Loire, était une terre magnifique, à laquelle étaient attachés des droits honorifiques et seigneuriaux importans. Par cette acquisition, Ducrest espérait tirer enfin son nom de l’obscurité, en le relevant du titre de marquis, et asseoir la fortune des siens par un état plus important dans le monde. Peut-être y eût-il réussi s’il eût pu se contenter de l’existence modeste qu’avaient menée ses ancêtres sur leurs terres. Mais très moderne, décidément, il voulait à la fois arriver et jouir de la vie. Endetté de toutes parts, ayant à soutenir de nombreux procès contre ses voisins, et à faire face aux lourdes charges d’une maison dispendieuse, il ne tarde pas à être submergé. En 1757, il avait affermé pour 2 830 livres, durant neuf années, la terre de Saint-Aubin. Mais, peu de mois après, il tombait de son rêve brillant et, comme nous l’avons vu, cédait la place à Guillaume Lenormant, qui