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apparaît juste au bon moment, comme une sorte de Dieu sauveur. Leurs affaires de Bourgogne liquidées, il restait aux deux époux à peine un morceau de pain, une misérable pension viagère de 1 200 livres.

Du moins leurs embarras financiers n’altèrent en rien l’insouciante gaieté de leur vie. Il semble qu’ils se sentent assurés contre la catastrophe finale, et qu’ils aient foi en un secours qui, le moment venu, ne leur peut manquer. Et les fêtes succèdent aux l’êtes, toute la Bourgogne conviée. Les sept années durant lesquelles Ducrest vécut joyeusement en seigneur sur son domaine, chassant, recevant, menant l’existence plantureuse des Bourguignons qui aiment le bien-vivre, sont le moment heureux, le point culminant de sa carrière. Quand les embarras d’argent surgissent inextricables, à partir de 1758, l’obscurité se fait sur le brillant personnage. « Mon père alla à Paris six mois pour ses affaires, » dit vaguement Mme de Genlis. Le fait est que cette absence se prolongea fort longtemps, sans que d’ailleurs la fête s’interrompît au logis, et que Ducrest ne reparut en Bourgogne que pour l’adieu définitif, terres et châteaux, marquisat et baronnie ayant passé aux mains de Lenormant d’Etioles. Quand sa femme et ses enfans partent à leur tour pour Paris, ce n’est point pour l’y rejoindre, mais pour séjourner chez les parens et amis qui les veulent bien accueillir. Mme de Bellevaux les héberge ainsi plus d’une année, puis La Popelinière, et d’autres encore. Chose curieuse, les Ducrest et leur cousine se brouillent précisément au moment de l’achat de Saint-Aubin par Lenormant. Dorénavant, c’est surtout par des pièces de procédure qu’il est possible de suivre Ducrest dont la vie se passe à lutter contre ses créanciers. Une de ses dernières aventures fut le voyage qu’il entreprit à Saint-Domingue dans le chimérique espoir de rétablir sa fortune. Toutes les richesses qu’il en rapporta se bornèrent à quelques outres d’un sirop de calebasse que sa fille juge « miraculeux. » Il eut du moins la chance de trouver un gendre dans ses voyages. Mais le malheureux homme ne vécut pas même assez pour voir s’accomplir le mariage qu’il avait préparé. Prisonnier des Anglais, il ne fait que changer de prison en recouvrant sa liberté. De retour à Paris, traqué par les hommes de loi, il est jeté à la prison pour dettes, à la Force. Il n’en sort guère que pour mourir (15 juillet 1763). Détail piquant, parmi les opposans à sa maigre succession, on trouve, à côté de