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se montrèrent accueillantes et généreuses. Ce qui ne veut pas dire que la jeune fille leur sût toujours un gré réel de leurs bienfaits. Mme de La Reynière se montrant offensée d’un portrait assez fielleux tracé plus tard par Mme de Genlis, lui répondait vertement qu’en effet elle avait poussé jadis l’impertinence jusqu’à offrir, elle, femme de financier, des robes à une demoiselle de qualité qui en manquait. Les grandes dames furent moins accessibles. Quelques-unes seulement, plus indulgentes ou moins hautaines, entre-bâillèrent leur porte, et reçurent à de certains jours Mme Ducrest, qui exhibait sa fille, et la produisait partout où elle le pouvait, en tous lieux, en toutes occasions. — Qui saura les déboires, les secrètes amertumes d’une fille de quinze ans, bien née, jolie à ravir, intelligente, fine, pétillante d’esprit et de talens, que la dure nécessité réduit à une souplesse servile, tandis qu’elle se sent faite pour briller au premier plan ? Pas plus que Françoise d’Aubigné, elle n’oubliera les robes trop courtes et usées, les fichus défraîchis et les atours misérables qui désolèrent sa jeunesse. Ah ! les airs de bonté dédaigneuse des grandes dames qui, sans souci de sa fierté, lui témoignaient une commisération humiliante ! Un léger coup d’éventail caressant sous le menton, pour lui faire lever le visage ; on la tourne, on la retourne comme une curiosité nouvelle : Voyez comme elle est jolie ! comme elle est intéressante ! et ces doigts habiles ! et cette danse légère ! Au départ, on lui remet un présent, affiquet, objet de parure que la jeune fille accepte en rougissant. Deux années durant, Mme Ducrest continue ainsi à la produire, forçant les portes qui résistent ou ne s’ouvrent qu’à peine, s’évertuant à tenter le hasard ou la fortune. Sombres années pour Félicité. On comprend que, par contraste, elle trouve une réelle douceur à évoquer, dans ses souvenirs lointains, les séjours chez La Pope-linière, chez les De Joui, ou même chez Mme de Bellevaux. Là, au moins pour quelques mois, c’est une sorte de repos, la vie matérielle assurée, des apparences d’égards, l’oubli des soucis cuisans qui sont pour les deux pauvres femmes l’ordinaire de la vie. Les 1 200 livres de rente viagère de Mme Ducrest ne la pouvaient mener loin ; il lui était bien malaisé d’élever ses deux enfans sans déroger ; la dignité est une vertu réservée au seul usage des riches, pensait-elle ; et elle tendait la main à sa mère, Mme de la Haie, à sa sœur, Mme de Montesson, malgré leurs brouilleries. Toujours demander et solliciter, s’humilier, tel fut longtemps le