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son étrange éducation avait produite dans ses sentimens les plus naturels. Sorti de prison, le malheureux Ducrest, déçu de ses rêves de grandeur, désespérant de rétablir jamais la fortune des siens, ne fit plus que languir. Ni les visites de son vieil ami, le baron d’Andlau, en qui il se préparait un successeur inattendu, ni celles du jeune comte de Genlis, ni même le séduisant espoir d’assurer brillamment le sort de sa fille, ne purent lui redonner le goût de vivre. Ce gai Bourguignon s’enfonça dans la tristesse et s’abandonna lui-même. Il mourut le 13 juillet 1763. Sa succession fut vite réglée ; les créanciers n’y trouvèrent rien à prendre. Tout l’avoir personnel du défunt tenait en deux armoires de linges et de hardes qui furent prisés à rien par le commissaire. Les ressources du ménage étaient si bien épuisées que Mme Ducrest, obligée de renoncer au modeste logis de la rue d’Aguesseau, ne put solder que par son hôtel les deux cents livres qui restaient dues sur le loyer. Elle dut accepter l’appartement que lui offrait une amie compatissante dans le couvent des Filles du Précieux Sang, rue Cassette. Le baron d’Andlau venait fréquemment visiter au parloir les deux femmes. Bientôt son assiduité se fit significative. Un gros paquet arriva à l’adresse de Félicité ; il contenait les parchemins et la généalogie de la maison d’Andlau. Cet étrange plaidoyer d’amour fut aussitôt suivi d’une demande en mariage, que le vieux baron fut bien étonné de voir repousser. « Il ne discontinua point ses visites, conte Mme de Genlis, mais il fut beaucoup plus froid envers moi ; il ne s’occupa plus que de ma mère, et il s’en occupa si bien que, dix-huit mois après, il l’épousa… »


Retirées ensuite au couvent de Saint-Joseph, elles reprirent dans le monde le train de visites utiles d’où elles attendaient leur salut.

Le séjour chez La Popelinière avait permis à Mme Ducrest de nouer des relations un peu dans tous les mondes : dans celui de la finance, d’abord, qu’elle connaissait déjà par Mme de Bellevaux et par Lenormant ; dans celui des gens d’esprit, des littérateurs et des artistes. Qui pouvait savoir à quelle porte la nécessité réduirait Félicité à frapper ? Cherchant partout des protecteurs et des répondans, la mère et la fille, douces, polies, insinuantes, se glissèrent tant bien que mal dans diverses sociétés. Des femmes de la finance, comme Mme de La Reynière, entre autres,