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l’Ecole et la cathédrale, un effort général vers la justice et la liberté, le régime de fer des féodaux s’ouvrant au bourgeois et au vilain qui s’y font leur place ; tout le siècle de saint Louis, le plus grand, est en germe dans cette France de Philippe-Auguste. — Nous avions la légende révolutionnaire et romantique du moyen âge : l’une, qui en faisait l’enfer de toutes les souffrances, l’autre, le Paradis de tous les héroïsmes. Cette légende, M. Luchaire l’a détruite. Et il nous montre dans la France de nos pères, simplement ce qu’elle fut, une société d’hommes où l’on a beaucoup lutté, mais où la vie, rude et terrible parfois, fut grande, puisqu’elle fut une école de foi, de vouloir et d’action.

L’originalité, l’étendue de ces recherches avaient assuré déjà à M. Luchaire une place à part dans l’érudition française. En 1895, l’Académie des Sciences morales consacrait sa réputation en lui ouvrant ses portes. Il n’avait fait cependant qu’une partie de son œuvre. Philippe-Auguste lui avait découvert Innocent III. L’historien des Capétiens va devenir celui du plus grand des papes du XIIIe siècle. C’est à cette direction de son esprit que nous devons l’œuvre magistrale qui, commencée en 1901, sera terminée quelques semaines avant sa mort.

Pour tous ceux qui connaissaient mal M. Luchaire, elle fut presque une révélation. Assurément, il reprenait des voies ouvertes. Innocent III avait déjà trouvé des biographes, dont Hurter avait été le plus illustre. Mais pour lui, ces voies étaient nouvelles, et nouvelle aussi la manière par laquelle il s’y engageait. Plus d’érudition apparente. Hurter avait suivi, année par année, le récit des événemens : lui, préfère de vastes fresques, exposés méthodiques où il série les questions, loin de les confondre. « J’ai dû suivre les matières, écrivait-il plus tard, et non l’ordre chronologique. On me l’a reproché. Mais je tenais à être lu. Il s’agissait pour moi, non d’être utile à quelques douzaines d’érudits, mais de donner, au public soucieux du passé, la claire intelligence de ce que fut, au moyen âge, l’action d’un grand pape. » Partant, il renverse ses procédés, cache ses matériaux, dérobe ses recherches. Des volumes courts, des tableaux larges, où se révèle non seulement le souci de la vérité documentaire, mais de la vie ; peu ou point de références ; dans la forme même, un mouvement, une souplesse, une verve auxquels l’auteur des