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Écrivez-moi vite qu’on y pense et que vous le voulez. Si j’avais là des amis, je le leur ferais bien comprendre[1]. »

Et Poncy, obéissant, se présentera à la députation, d’ailleurs avec une nuance de tiédeur. George Sand va le combler d’écrits politiques, comme naguère elle le comblait de cadeaux littéraires :

« Je vous envoie une Lettre au peuple, qui a paru à Paris. Si vous croyez qu’elle soit utile à Toulon, je vous autorise à la reproduire, ainsi que tout ce que je vous enverrai. Cette brochure est trop longue pour un journal. Vous pourriez la faire réimprimer sur papier commun et la répandre. Les frais sont peu de chose, vous trouveriez quelques amis du peuple qui les feraient. Reste à savoir si cette lettre, qui n’est pas trop « avancée » pour la population intelligente et instruite des faubourgs de Paris, ne serait pas inintelligible ailleurs. Vous verrez. J’en ai fait une autre pour les paysans de la langue d’oil qui est sous presse. Adieu, écrivez-moi. — GEORGE. » (16 mars 1848.)

Que devenaient cependant la poésie et la littérature prolétaire, dans cette crise ? N’allaient-elles pas sombrer ? Fallait-il renoncer au rêve d’hier ? Poncy rappelait le nouveau livre de vers, entrepris naguère sous l’inspiration de sa grande amie : la Chanson de chaque métier était à peu près terminée à cette heure. Qu’en faire ? L’achever ? la publier ? ou laisser dormir en quelque tiroir ces couplets ingénus sur le travail et la paix, pour les reprendre lorsque, après la victoire, le peuple aurait de nouveau des oreilles pour les chants de ses Orphées ?

« Mon ami, — répondait George Sand, en reprenant à la fin, sans y prendre garde, le tu démocratique, — il ne s’agit pas de poésie personnelle, de doux repos, de retraite, de chacun chez soi. La poésie est dans l’action, maintenant. Toute autre est creuse et morte. Le repos, c’est le mouvement. Tout autre est paralysie. La retraite est dans notre cœur, et non dans notre chambre. Notre chez nous, c’est la place publique, ou la presse, l’âme du peuple enfin. Oui, nous nous verrons à Paris, et nous n’y aurons guère le temps de nous asseoir pour faire des vers et de la prose, en dehors du sujet unique et grandiose. Venez,

  1. Correspondance, III. On notera ici l’hommage à Lamartine. George Sand a pu ailleurs blâmer, critiquer amèrement Lamartine, l’accuser de modérantisme ou d’ambition calculée ; la noblesse de ses intentions fut reconnue par elle après coup, et proclamée en diverses circonstances. (Voyez Corr., III, p. 59, Lettre à Thoré.)