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de sa vache, de sa maisonnette, de ses poules, sera-t-il heureux et satisfait si on lui retire les élémens de son modeste bonheur ? L’homme des lettres et des arts, le savant, le voyageur, auront toujours des besoins d’esprit qui leur donneront droit à la propriété personnelle d’une foule de choses. Enfin, quelque fantastique que l’on suppose un avenir très éloigné de fraternité et d’égalité, la communauté absolue ne me paraît point dans la nature véritable de l’homme, dans ses besoins ni dans ses devoirs. C’est donc chercher mal l’égalité, que de la chercher dans la communauté absolue et immédiate. C’est une folie. C’est même une monstruosité de la part de ceux qui voudraient faire entrer la famille dans les objets de propriété à mettre en commun. Mais ceux-là sont si rares et si absurdes, que je ne vois point pourquoi l’on s’en occupe, si ce n’est parce que leur aberration sert de prétexte à la calomnie et d’arme aux enragés défenseurs de l’individualisme absolu.

« Je crois, moi, qu’il y aura éternellement une propriété divisée et individuelle, et une propriété indivise et commune. Toute la science sociale, qui devient forcément aujourd’hui la question politique, consistera donc à établir cette distinction, à protéger la propriété individuelle jusqu’au point où elle veut empiéter sur le domaine commun, à étendre le domaine commun jusqu’au point où le domaine personnel lui pose sa limite.

« Cette limite doit nécessairement changer par la force des choses, car elle a pris un développement déréglé, mais elle en aura toujours, et il est tellement dans l’esprit de l’homme de ne pas la laisser trop restreindre, qu’il est insensé d’avoir peur des communistes absolus.

« Il doit donc y avoir deux sortes de communisme : celui dont je vous signale l’erreur et l’excès, — et je n’en ai jamais été, je ne saurais en être ; — et le communisme social, celui qui ne fait que revendiquer ce qui est essentiellement de droit commun, et l’extension progressive et appropriée aux circonstances, de ce droit. Voilà le communisme dont aucun être doué de raison et de justice ne saurait se départir, bien que le mot, torturé par les sectes aveuglément progressives et par les ennemis aveugles du progrès, soit devenu une cible qu’on peut mettre à son chapeau quand on veut être fusillé par les inintelligens et les roués, les dupeurs et les dupés de toutes les classes.