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« Pour avoir compris instinctivement ce communisme-là, mais aussi pour l’avoir poussé sans ensemble, sans clarté et sans parti pris, la phase gouvernementale de février jusqu’en mai a perdu la partie. Pour l’avoir repoussé avec prévention, partialité et personnalité, la majorité de l’Assemblée a produit les désastres de Juin. Les insurgés de Juin ne savaient probablement pas pourquoi ils combattaient. La nécessité des choses, le malaise physique et moral, les poussaient fatalement à se laisser exciter par des meneurs qui n’avaient aucune idée sociale que je sache et qu’on soupçonne d’être les agens de l’étranger, des prétendans et de la réaction bourgeoise extrême.

« A présent, toutes les ouvertures, cependant bien sages et bien prudentes, de Duclerc,… sont repoussées. Cavaignac, quel qu’il soit, n’est qu’un nom isolé, que la bourgeoisie démolira et engouffrera bientôt. La majorité de la Chambre et des ministres n’est pas portée à faire une distinction juste et calme des deux propriétés. Nous marchons vers de nouveaux combats désastreux, ou vers un anéantissement prolongé de la vitalité populaire.

« L’esprit s’y soumet, parce que l’esprit sait que rien n’enchaîne le progrès, et que la vérité triomphe à son heure. Mais le cœur saigne, et la vie se passe à pleurer.

« Bonsoir, mon enfant. Ne vous inquiétez pas de moi. Je n’ai pas quitté Nohant, où j’ai été tranquille matériellement, malgré des criailleries et des cancans de province. Je n’ai pu être compromise, puisque, par un hasard qui me donne même à penser, pas un seul des amis socialistes ou exaltés que je puis avoir ne s’est trouvé mêlé, même d’intention, à cette terrible insurrection.

« Parlez-moi de vous… Vous ne me dites rien de votre situation. Est-elle tolérable ? Du moins la femme et l’enfant se portent bien. Je les embrasse tendrement, et vous bénis tous les trois. Maurice et Borie vous embrassent…

« Votre mère, GEORGE. »


Cette lettre, la plus explicite que George Sand ait écrite en cette année 1848, fixe le point d’arrêt de son socialisme. C’est en même temps une profession de foi, et un testament. Le passé y est résumé, et éclairé ; l’avenir y est espéré, mais à une date lointaine ; le présent, quel qu’il soit, sera désormais accepté avec résignation. En quelques mois, George Sand a parcouru le cercle complet de l’idée et de l’action. L’idée, elle