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n’y renoncera jamais. Mais le fait ne la mettra plus en état d’insurrection. Elle pense déjà ce qu’elle écrira sur son Journal intime, lors du coup d’État : « Il faut accepter le fait sans jamais douter de l’idée. » Et cette maxime se complète de cette autre : « Il faut des siècles à toute réforme fondamentale[1]. » Que les penseurs se résignent donc, et que le peuple patiente. Les temps viendront. L’effort de l’écrivain ne doit tendre qu’à les préparer en répandant la lumière, en accroissant la bonté de ce peuple qui doit être, comme la vérité elle-même, patiens quia æternus.

Lui seul d’ailleurs, le « Jacques » de Michelet et de George Sand, vaut qu’on l’aime et qu’on lui dévoue son cœur, sa foi. Tacitement, dès cette lettre à Poncy, George Sand donne sa démission d’un parti. Au fond, fut-elle jamais d’un parti ? Si elle eût été homme, n’eût-elle pas siégé « au plafond, » comme Lamartine ? Sa révolution n’était-elle pas « la révolution pour l’idéal ? » Et, si dévouée quelle fût à certains hommes, ne les jugea-t-elle pas, ne les dépassa-t-elle pas tous, ne s’évada-t-elle pas à tout instant de leur insuffisance ? Dès le mois de décembre 1848, elle peut écrire en toute sincérité : « De tous les hommes, de tous les partis politiques que j’ai vus passer depuis quarante ans, je n’ai pu m’attacher à aucun exclusivement, je le confesse. Il y avait toujours en dehors de tous ces hommes et de tous ces partis un être abstrait et collectif, le peuple, à qui seul je pouvais me dévouer sans réserve. Eh bien ! que celui-là fasse des sottises, je ferai pour lui dans mon cœur ce que les hommes politiques font dans leurs actes pour leur parti : j’endosserai les sottises et j’accepterai les fautes[2]. »

C’est donc la cause du peuple qu’elle persiste à aimer, et à défendre, en attendant qu’elle défende celle des victimes.

Car les événemens vont se précipiter.

Après le vote de la Constitution d’octobre, et l’institution d’une Présidence, pour laquelle le suffrage universel serait directement consulté, le succès de Louis Bonaparte se dessinait tous les jours davantage. L’élection du 10 décembre, et sa majorité écrasante, annonçaient non seulement un président, mais un empereur. George Sand, qui avait déjà prévu ce mouvement et

  1. Souvenirs et idées, ouvrage posthume (1904), p. 113, 118.
  2. Questions politiques et sociales, p. 296.