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la réflexion. On tire de soi beaucoup, on refait même sa santé par le vouloir et la patience. Mais l’implacable mort et le malheur des autres, souvent incurable, malgré tous nos soins, voilà ce qui nous rappelle notre solidarité, et le bonheur aux prises perpétuelles avec le chagrin. Il ne faudrait pas que l’un détruisît l’autre. Le bonheur que nous savons et pouvons nous donner nous rendrait égoïstes et stériles. Le chagrin qui empêcherait notre sagesse intérieure de réagir nous rendrait amers et biches. Vivons donc la vie comme elle est, sans ingratitude, et sans joie durable et assurée. Nous ne changerons pas cela. Acceptons-le. » (16 nov. 1866.) Telles seront, jusqu’au bout, les leçons viriles et tendres de celle qui écrivait encore à son « cher enfant, » deux mois avant sa mort, cette dernière phrase dans sa dernière lettre : « Les vers que vous m’avez envoyés sont très beaux ; mais celle désespérance est navrante, et je ne vois pas comment l’adoucir, sinon en vous aimant davantage encore, et c’est ce que je fais de tout mon cœur. » (3 avril 1876.)

Cette « désespérance » de Poncy s’expliquait par ses malheurs. Le 24 août 1863, sa femme était morte d’un cancer, après de longues et affreuses souffrances. La fille unique de Poncy avait épousé un fonctionnaire de l’intendance, M. Milhière, fils d’un ami de Poncy. Ce mariage ne fut pas heureux. Solange Milhière eut trois enfans. Le troisième était à peine né que sa fille aînée mourut d’une méningite. Le chagrin emporta la mère quinze jours après ; elle avait trente-deux ans. Les deux autres enfans, élevés par Poncy dans l’amour et les larmes, ne vécurent guère : l’un mourut à cinq ans, l’autre à neuf ans. Poncy survécut à toute sa famille. Et il ne disparut à son tour que quinze ans après sa grande amie, le 30 janvier 1891. Il eut donc tout loisir de nourrir son cœur de souvenirs. Les lettres de George Sand, même elle disparue, paraissent lui avoir été un précieux vulnéraire. Il les maniait sans cesse, les copiait ou les laissait copier, s’y réconfortait l’âme. De là un ressort caché qui ne s’amollit point chez lui avec les années, en dépit de tout. Il vivait encore à la chaleur de la flamme que George Sand avait entretenue dans son âme.

C’est donc à lui que revient le dernier mot de cette histoire. Lui-même, vers les derniers temps de sa vie, s’est aimablement confessé auprès d’un ami, qui l’avait interrogé sur ces temps déjà lointains de la littérature prolétaire et sur sa longue liaison