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événement, les qualités exquises de Lina Calamatta, remplissent alors les lettres de Nohant à Toulon. Et l’écho des émotions de la famille vibre désormais à peu près seul dans tout ce qui suit. C’est la naissance du petit Marc-Antoine, en juillet 1863 ; c’est sa mort, un an après. Plus tard, c’est la naissance d’Aurore, enfin celle de Gabrielle. George Sand est désormais l’aïeule. La grand’mère ravie s’achève en la Bonne-Dame de Nohant. Mûre elle-même pour la légende, elle écrit ses dernières légendes, en « bonne fée du roman » qu’elle est et qu’elle restera, suivant le joli mot de M. Doumic. C’est la tante berceuse de l’humanité.

Jusqu’au dernier moment, elle communiquera son grand cœur maternel à son fils éloigné. Et sa philosophie sereine exercera sur lui, à distance, la belle contagion du calme, dont il a besoin dans ses malheurs. Quand Désirée est morte, et que Poncy et sa fille la pleurent éperdument, elle écrit : « La nature a droit aux larmes. C’est un soulagement qu’elle exige, en même temps qu’un noble tribut qu’elle paie. Votre chère enfant reçoit par-là un grand baptême. Elle en appréciera plus tard l’effet salutaire et fortifiant. » (28 décembre 1863.) Lorsque, en septembre 1865, le choléra sévit à Toulon, elle met en garde Poncy contre la panique : « Où donc est-on en sûreté ? Est-ce le choléra qui a inexorablement frappé mon pauvre petit enfant l’année dernière, mon brave Maillard cet hiver, et mon pauvre cher Manceau le mois dernier ? La mort nous frappe partout, et fauche sans discernement tout ce que nous aimons, jusqu’à ce qu’elle nous fauche nous-mêmes. Il me semble qu’à force de voir que nous ne sommes en repos et en sécurité nulle part, nous ne devrions avoir peur de rien, et vivre au jour le jour comme il plaît à Dieu. C’est la condition humaine. C’est folie de vouloir s’y soustraire. Nous n’avons véritablement qu’un but à poursuivre et un souci à prendre : c’est de savoir tout accepter et tout supporter. Pour moi, qui vois venir la vieillesse, je sens la puissante loi de la brièveté de la vie, et je pense à l’autre bien plus qu’à celle-ci. » (24 sept. 1865.) Et si Poncy, succombant aux tristesses, allègue un jour l’impossibilité du bonheur : « Non ! réplique-t-elle avec sa fermeté antique : on est heureux par soi-même quand on sait s’y prendre, avoir des goûts simples, un certain courage, une certaine abnégation, l’amour du travail, et avant tout une bonne conscience. Donc le bonheur n’est pas une chimère. J’en suis sûre à présent, moyennant l’expérience et