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plus, consentir à se séparer de ceux-ci, partageant leurs dangers sans le moindre profit pour soi-même ni pour eux. Puis, un jour, le noble désir de sauver un ami lui rend tout à coup la conscience et l’usage de sa force native : mais dus l’instant qu’il a réussi dans son héroïque et folle aventure, le voici, de nouveau, comme accablé sous le poids de sa supériorité ! Cette vie qu’il est parvenu à sauver par des prodiges d’adresse ut de courage, à peine en est-il redevenu maître qu’il semble aspirer à la perdre ; et le malheureux finit par se tuer, vainement, par effroi de se livrer à une police entre les mains de laquelle il est allé se jeter, et qui d’ailleurs, cette fois encore, est sur le point de le laisser fuir. Belle, puissante, et pitoyable figure, qui nous apprend à sa manière la triste leçon, enseignée naguère par le Dimitri Roudine de Tourguenef et le Stavroguine de Dostoïewsky, mais on y ajoutant ce charme particulier qui appartient en propre à l’âme polonaise, — un charme fait à la fois de robuste franchise et d’une douceur presque féminine !


C’est en 1905, il y aura bientôt cinq ans, que des milliers d’ « enfants » du genre de ceux-là ont tenté, dans les diverses parties de l’empire russe, une « révolution » dont l’histoire reste encore à écrire, et que peut-être la postérité placera en regard de la fameuse Croisade des Enfans du moyen âge, comme deux des plus étranges expressions de la folie humaine. Depuis lors, à la fois en Pologne et en Russie, une tendance nouvelle est venue s’opposer à celle que nous décrit le roman de M. Prus. A côté des Swirski et des Jedrejczak, la littérature polonaise a vu surgir, elle aussi, des types équivalens au trop célèbre Ssanine de M. Artsibachef, détournant la jeunesse de ses stériles illusions révolutionnaires pour lui prêcher le culte du plaisir continu et sans frein[1]. Le public polonais a même été admis, récemment, à un spectacle plus scandaleux encore que le succès du roman « surhumain » de M. Artsibachef. Un romancier a imaginé d’organiser, dans un théâtre de Varsovie, une sorte de jury chargé de se prononcer sur la conduite de l’héroïne de son dernier roman, aimable jeune fille qui, par principe, avait cru devoir tuer l’enfant qu’elle avait mis au monde ; et une majorité considérable s’est trouvée pour acquitter, pour approuver cette mère « sur-féminine, » pour la proposer en exemple aux femmes et aux sœurs des jeunes gens que vient de nous montrer M. Roleslas Prus.

  1. Sur M. Artsibachef et son roman Ssanine, voyez la Revue du 15 mai 1909.