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sur le premier moment, reconnaissent mal. Les susceptibilités froissées sont surtout vives dans l’armée. L’armée grecque, depuis longtemps mécontente, mécontente des autres, mécontente peut-être aussi d’elle-même, a adressé à M. Théotokis des sommations qu’il ne pouvait pas accepter et devant lesquelles il s’est retiré. Le cas de M. Rhallys a été le même, M. Rhallys n’avait probablement pas la majorité dans la Chambre, ce qui avait provisoirement peu d’importance, puisque la Chambre était en vacances ; mais il a dû consentir, au dernier moment, à la réunir plus tôt qu’il n’en avait eu l’intention. Cette concession ne l’a pas sauvé. Lui aussi, par sa sagesse et sa prudence dans l’affaire crétoise, avait épargné à la Grèce le danger d’une aventure militaire : à lui non plus, il n’en a été tenu aucun compte. L’armée est entrée en rébellion. Elle s’est réfugiée hors d’Athènes comme sur une sorte de Mont Aventin ; elle a campé sur le pied de guerre, et formulé impérieusement ses sommations. M. Mavromichalis, le nouveau ministre, les a acceptées. On a dit qu’il pouvait le faire sans sacrifier sa dignité personnelle, parce qu’il avait soutenu devant la Chambre, comme député de l’opposition, un programme analogue à celui de l’armée ; mais, à défaut de sa dignité propre, peut-être a-t-il compromis celle du gouvernement, et il a certainement amoindri son autorité. Pouvait-il, d’ailleurs, faire mieux ? Le mécontentement n’était pas dans l’armée seule ; il était partout. Quant à la force, elle n’était pas du côté de M. Mavromichalis. Un simple colonel était, pour le moment du moins, plus fort que le gouvernement, plus fort que le ministre, plus que le Roi.

La presse européenne, surtout dans les nations occidentales, a jugé sévèrement le procédé de l’armée grecque et, à coup sûr, on ne saurait l’approuver : nous doutons toutefois que l’argument principal des journaux fasse beaucoup d’effet sur les officiers hellènes. On leur a dit que les officiers ottomans avaient eu le droit de s’insurger parce qu’il n’y avait pas de constitution en Turquie, tandis que, eux, ne l’avaient pas parce qu’il y a une constitution en Grèce et que ce pays jouit du gouvernement parlementaire. Mais en politique, la forme n’est pas tout. Le gouvernement grec, quoiqu’il soit parlementaire, n’est pas un chef-d’œuvre d’organisation. Il n’y a qu’une Chambre à Athènes, elle n’a pas de contrepoids et peut se livrer à tous ses caprices. Le budget y est consacré à toutes sortes d’emplois qui n’ont souvent qu’un rapport lointain avec les vrais besoins de l’État. Beaucoup de services publics souffrent, y compris celui que représente l’armée. Il est donc naturel que celle-ci se plaigne, puisque, au surplus,