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tout le monde se plaint ; mais il est regrettable qu’elle donne à ses plaintes le caractère d’un ultimatum. Si les mœurs politiques sont mauvaises en Grèce, l’armée n’a pas plus échappé à la contagion que les autres corps de l’État ; elle ne vaut moralement ni plus ni moins qu’eux. Dès lors, on ne saurait voir dans son intervention politique un remède propre à guérir les maux du pays. On ne peut y voir qu’un pronunciamiento, comme on en a vu ailleurs tant d’autres, et nous savons où conduit le régime des pronunciamientos.

Ce qui est plus grave encore, c’est que l’armée grecque, quoiqu’elle s’en soit défendue depuis, d’ailleurs assez mollement, a mis en cause, sinon la dynastie elle-même en tant qu’institution politique, au moins la famille royale, et on conviendra qu’il est difficile de séparer complètement l’une de l’autre. L’armée a cherché un bouc émissaire : elle l’a trouvé tout près du trône sinon sur le trône même, et la principale de ses revendications a consisté à rejeter les princes, tous les princes, en dehors d’elle. Là aussi, sans doute, il y a eu des abus. Les princes de la famille royale sont nombreux, et s’ils avancent dans l’armée sans qu’on leur applique aucune des règles de la hiérarchie, s’il est admis que ces règles ne sont pas faites pour eux, ils occuperont bientôt tous les hauts commandemens : ils en occupent déjà beaucoup, sans qu’aucune capacité particulière, éclatante, incontestable, incontestée ait justifié chez eux ces avancemens trop rapides. Les officiers protestent. Ils se comparent aux princes et ils disent : Pourquoi eux plutôt que nous ? L’intérêt personnel, la jalousie, l’envie ne sont certainement pas étrangers à leurs revendications sur ce point. Toutefois, les officiers n’ont pas tout à fait tort : il n’est pas bon que toutes les avenues militaires, dans l’armée de terre et dans la marine, aient leur extrémité obstruée par un prince. Mais était-ce une raison pour les exclure tous de l’armée, les dénoncer à la nation comme des intrus et porter enfin au prestige de la famille royale une atteinte qui ne saurait manquer d’affaiblir la monarchie elle-même ? Ce n’est pas ce qu’ont voulu les officiers ; ils le disent et il faut les croire ; ils ont crié : Vive le Roi ! aussitôt qu’on leur a eu cédé. Cela n’empêche pas que la mise en disponibilité du diadoque » c’est-à-dire du généralissime, qui était le prince héritier, son départ pour l’Allemagne avec un de ses frères mis dans le même cas que lui, l’amertume que ces mesures laissent dans les cœurs, l’humiliation, — il faut bien dire le mot, — qui en résulte pour les princes, tout cela est déplorable et inspire, si on songe à l’avenir, des inquiétudes qui n’intéressent pas seulement la Grèce, car elle est en Orient,