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Pour en comprendre l’opportunité, il suffit de savoir que les règlemens édictés ou renforcés sous l’empereur Alexandre III, bornent à 3 ou à 5 pour 100, au maximum, la proportion des Israélites que peuvent recevoir les hauts établissemens d’instruction ou les universités, dans les deux capitales. Le chiffre des admissibles varie selon les localités et selon la population juive ; mais, dans les villes mêmes comme les grandes villes de l’Ouest où les Juifs forment la moitié ou le tiers de la population, où ils paient la plus grande partie des impôts, le nombre des Juifs reçus dans les collèges ou les universités ne doit point dépasser 10 ou 15 pour 100 du total des élèves.

Une telle réglementation est si manifestement arbitraire que, dans la pratique, elle n’est pas toujours respectée. L’étranger est enclin à déplorer la corruption administrative, la négligence, le laisser aller des autorités, le désaccord entre les lois et les mœurs qu’il remarque souvent en Russie. La loi y restant fréquemment encore un instrument d’oppression ou de tracasserie, il y a bien des cas où il conviendrait plutôt de féliciter les sujets du Tsar de savoir employer les complaisances administratives à tourner des lois ou des règlemens qu’ils n’ont pu réussir à faire abroger. Ainsi en était-il de l’entrée des Juifs dans les hautes écoles, durant ces cinq ou six dernières années. La proportion légale des Juifs admissibles était fréquemment dépassée ; l’administration locale, par intérêt ou par libéralisme, fermait les yeux. Les ennemis des Juifs dénonçaient bruyamment ces « abus ; » c’est sans doute pour y mettre fin, sans se montrer trop réactionnaire en jetant les élèves juifs sur le pavé, que le gouvernement a, pour certaines écoles, relevé un peu la proportion des admissibles Israélites.

Il se fût honoré grandement, s’il eût osé aller plus loin, s’il eût préparé hardiment l’abrogation de tous ces règlemens surannés, pour accorder aux sujets russes l’égal accès aux écoles, en attendant l’égalité devant la loi. Il faut dire, à la décharge des hommes au pouvoir, que la question juive est une de celles où ils ne se sentent pas les maîtres. Puis, pour prendre une telle initiative, il leur eût fallu un véritable courage, car cette limitation du nombre des élèves juifs est une des choses auxquelles tiennent le plus les ennemis d’Israël, les « Hommes Russes. » Pour eux, elle n’est pas seulement un moyen d’écarter des professions libérales les concurrens israélites ; elle a un non moindre