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avantage, celui de restreindre le nombre des Juifs qui peuvent pénétrer dans l’intérieur de la Russie et y établir leur domicile. Une des choses qui font l’importance de cette question scolaire, c’est que les diplômes universitaires autorisent leurs possesseurs à résider dans toutes les provinces de l’Empire. Aux yeux des libéraux, c’est une raison de plus pour abolir toute cette législation d’Ignatief ; aux yeux des « Vrais Russes, » c’est un motif pour la maintenir. Les premiers jugent qu’il n’y aurait qu’avantage pour l’Etat à entr’ouvrir, à l’élite des enfans d’Israël, les provinces qui leur sont aujourd’hui interdites ; les seconds, au contraire, voudraient arriver à les leur fermer entièrement[1].

Il ne suffit pas aux partis réactionnaires, aux « Hommes Russes, » aux « Cent Noirs, » à la presse de Droite, d’arrêter tout projet d’extension des droits reconnus aux cinq millions d’Israélites de l’Empire. Ils ne se lassent pas de faire campagne pour obtenir que le peu de droits laissés aux sujets juifs du Tsar soient encore légalement restreints. Ils viennent ainsi de remporter une nouvelle victoire. Jusqu’ici, les Juifs (auxquels tous les grades militaires demeurent interdits) pouvaient être médecins ou vétérinaires de l’armée. Leurs adversaires ont réussi à les exclure encore-de cette carrière en leur faisant fermer l’entrée de l’Académie de médecine militaire.

Une chose particulièrement choque le nationalisme étroit des fanatiques champions de l’« idée russe » et de la suprématie orthodoxe, une chose qu’ils n’ont pas pardonnée au plus moderne des ministres qu’ait encore eus la Russie, le comte Witte. Grâce à cet homme d’État et au courant de libéralisme qui, au lendemain de l’irritante guerre de Mandchourie, a fait entrer la Russie au nombre des Etats constitutionnels, les manifestes impériaux et la première loi électorale qui ont appelé les sujets du Tsar autocrate à élire une Douma d’Empire ont bien divisé les habitans de toutes les Russies en curies, en groupes électoraux divers, dont les droits étaient inégaux ; mais, contrairement à l’ancienne législation russe, ils n’ont pas fait de distinction entre les sujets du Tsar, selon leur foi religieuse. Les

  1. Des milliers de soldats juifs qui ont servi contre les Japonais en Mandchourie et dont beaucoup ont versé leur sang sous les drapeaux russes, les seuls auxquels on ait accordé le droit de libre domicile sont ceux qui, par leur bravoure, ont obtenu des distinctions spéciales. Aux autres, notamment aux volontaires qui ont pris part à l’héroïque défense de Port-Arthur, cette faveur a été refusée.