Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 56.djvu/906

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

être le mieux ? Constatons seulement ce qui est. De 1815 à 1830, l’Italie ne s’est pas contentée de développer le principe de son évolution intérieure, du nationalisme littéraire au nationalisme pratique. Elle ne s’est pas contentée non plus d’affirmer son attitude à l’égard des autres nations. Elle a offert, aux questions qui intéressent éternellement l’humanité, deux réponses qui demeurent : c’est beaucoup, pour si peu d’années, quand on compte parfois des siècles qui n’en fournissent point. La première est d’une beauté désespérée : celle de Leopardi. L’autre est aussi belle avec plus d’espoir, celle de Manzoni ; à travers lui, elle passe dans des milliers d’âmes, et agit infiniment.


Tels sont donc les domaines où M. Julien Luchaire nous a conduits. Quelquefois, nous avons marché sans notre guide ; par momens, nous nous sommes écartés de lui ; le plus souvent, nous l’avons suivi ; toujours, nous l’avons trouvé très éclairé et très captivant. Sachons-lui gré d’avoir étudié cette période féconde ; la gloire de celle qui la précède et de celle qui la suit lui nuisent d’ordinaire : on brûle les étapes, pour courir de l’époque impériale au Risorgimento. Et cependant, il est impossible de connaître bien l’une ou l’autre, sans étudier le moment où les prolongemens et les préparations commencent à se dégager de leur confusion. Les faits ne sont jamais plus intéressans que lorsqu’ils s’élaborent ; c’est avant la fin de leur évolution qu’ils vivent de la vie la plus intense ; après, ils s’immobilisent dans leur forme. Les époques de transition, pour paraître ingrates, n’en sont pas moins utiles, ni moins riches en enseignemens. C’est en elles que le passé vient s’éteindre, encore tout mêlé à l’avenir qui naît.


PAUL HAZARD.