Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 59.djvu/329

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sincérité habituelle, et j’ai été affligé de bien des circonstances qui s’y rattachent. Mais dès que le drapeau de la France est engagé, je ne lui souhaite que gloire et succès. »

La première lettre adressée par le Duc d’Aumale à Cuvillier-Fleury et publiée dans le second volume de leur correspondance date du 20 mars 1848, la dernière du 18 août 1859. Pendant ces onze années, beaucoup de tristesses se sont ajoutées pour le prince aux souffrances de l’exil. Il a perdu successivement un enfant mort-né, le roi Louis-Philippe, la duchesse de Nemours, la Duchesse d’Orléans. Il supporte ces malheurs répétés avec vaillance, il se résigne à la volonté divine, comme il le dit lui-même à plusieurs reprises, et cherche ses meilleures consolations dans les joies de la famille, dans la lecture, dans une activité intellectuelle toujours en éveil. Les journées où il fait travailler son fils le Prince de Condé, celles où il reçoit de Paris quelques caisses remplies de livres reliés avec goût et avec luxe, celles où il découvre quelques documens inédits pour l’histoire des Condé sont ses journées de détente. En se portant avec une curiosité infatigable sur des sujets si divers, son esprit échappe momentanément à l’obsession des pensées douloureuses. Son empire sur lui-même forme quelquefois un contraste piquant avec la nervosité de son ancien précepteur. Cuvillier-Fleury, qui n’a pas l’humeur commode, se plaint volontiers des gens et des choses, surtout du mauvais état de sa santé. C’est le prince qui essaie de le remonter par des paroles réconfortantes et par de continuels témoignages d’affection. Mais quelle que soit la disposition particulière de chacun, quelle que soit la nature du sujet qu’ils abordent, leur correspondance les honore tous deux infiniment. Leurs lettres nous font vivre dans une atmosphère de beauté et de santé morales. Rien d’étroit ni de mesquin dans leurs confidences. Ce sont deux âmes très nobles qui s’ouvrent entièrement l’une à l’autre, parce qu’elles n’ont ni action ni pensée à cacher. Les questions dont s’entretiennent le plus fréquemment les deux correspondans sont des questions littéraires ou bibliographiques. Quoiqu’ils se sachent surveillés de très près par la police impériale et que leurs lettres soient régulièrement décachetées, ils ne peuvent s’empêcher d’échanger quelquefois leurs idées sur les événemens du jour.

Nous ne nous attendons pas à les trouver indulgens pour le second Empire qui maintient en exil les princes d’Orléans et qui