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peu s’en faut, après ses débuts de lecteur devant les lettres de Marseille, qu’il s’excuse « d’un trop long silence. »

La Revue des Deux Mondes lui a remis sous les yeux l’image d’Alfred de Vigny, en lui apportant un « petit roman » signé du nom de cet auteur, la Veillée de Vincennes.


J’ignore, mon ami, quelle a été sa destinée, — écrit Brizeux, à propos du joli Récit de l’adjudant, — mais j’ai été singulièrement amusé et ému de cette histoire. Tous les personnages en sont d’une physionomie vive qui nous saisit tout d’abord, et cette vivacité est tempérée par une teinte douce qui rappelle bien l’époque où l’action se passe. Il y a longtemps que vous gardiez l’idée de cette histoire, car nombre de fois vous m’avez parlé de Sédaine[1]. Le portrait que vous en avez fait a tout le naturel que Sédaine lui-même aurait mis en le peignant. J’aime surtout la scène où il est à piquer ses pierres, avec les deux enfans devant lui qui chantent à n’en plus finir : Pierre, Perrine, Pierrot, Pierrette ; — et puis, lorsqu’il met sa canne pour soutenir le fusil du conscrit ; ces choses sont pleines d’une vérité aimable qu’on ne connaissait plus.


Cette longue lettre inédite contient d’autres réflexions curieuses. De l’aveu même de Brizeux, le charme de la paix qu’offre « cette belle Toscane » l’empêche de trop regretter les entretiens littéraires, que Fontaney, exilé à Madrid, ne se consolait point d’avoir perdus : « Faut-il dire que je suis moins sensible à ce plaisir (le plaisir de causer) que des Parisiens ne peuvent l’être, que, si parfois je mets du feu dans la conversation, c’est que le besoin de défendre ce qui me semble vrai m’entraîne, mais que je puis fort bien contenir en moi l’idée et la porter ? Ici je passe plusieurs journées de suite rien qu’avoir et sans parlera personne, et je suis heureux. »

Elles ont bien aussi leur prix, ces fines observations sur la différence d’aspect que prend un auteur, vu de très loin, et sur le rapetissement subit d’une réputation aux yeux de ceux qui passent les frontières : « Presque toutes nos illustrations de Paris sont inconnues à Florence ou d’un si faible éclat qu’à peine on les distingue. » La réciproque est vraie : « Ce sont de grandes renommées italiennes que nous ignorons, d’autres, bruyantes chez nous, qui ne font en Italie que peu de bruit, tel Pellico, qu’ils disent faible de pensée et commun de style, les Toscans ajoutent, barbare : ainsi du reste. » Brizeux s’afflige de voir Byron très oublié en Italie. « On ne le lit pas, et pourtant,

  1. Sédaine, — et non Sédaine, — est l’orthographe adoptée par Alfred de Vigny.