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force armée. Quant aux amis personnels du prince, les Othon, les Sénécion et autres viveurs, il conclut, à ce qu’il semble, un pacte tacite avec eux : il leur abandonna la vie privée de Néron, à la condition qu’ils s’abstinssent de toute incursion sur le terrain des affaires publiques. Dès lors, sans avoir de titre officiel, mais avec une autorité que personne n’ignorait, soufflant tous les discours de Néron et lui dictant toutes ses décisions officielles, il fut vraiment, pendant une période de sept ans, l’inspirateur de la politique romaine.

D’après quels principes entreprit-il de la diriger ? Nous avons là-dessus deux documens également précieux : l’un est le « discours-programme » que Néron prononça dans la première séance du Sénat qu’il vint présider après les funérailles de Claude, au mois d’octobre 54 ; l’autre, d’un ou deux ans postérieur, est le traité De la Clémence, dédié à l’empereur, mais destiné en réalité à tout le public de Rome. Ils ne font pas double emploi, ils ne se contredisent pas non plus : ils se complètent réciproquement, et c’est pourquoi il importe de les considérer ensemble. Les tendances du premier sont plus libérales, celles du second plus monarchiques. Si l’on n’envisageait que le manifeste impérial, on serait porté à croire que le nouveau prince offrait de partager par moitié son autorité avec le Sénat, de lui laisser tout le pouvoir législatif et une bonne part du pouvoir judiciaire, en se réservant seulement le soin d’exécuter les décisions de la haute assemblée constitutionnelle. Quelques historiens anciens et modernes l’ont cru, et M. Waltz ne semble pas éloigné de partager leur manière de voir. Peut-être serait-il sage d’être plus circonspect à l’égard des formules officielles. Quand on lit le Monument d’Ancyre, on y trouve une phrase qui, prise au pied de la lettre, affirme qu’à un certain moment Auguste s’est démis de sa puissance entre les mains du peuple et du Sénat : pourtant, si convaincu que l’on soit du « républicanisme » d’Auguste, soutiendra-t-on qu’il ait jamais abdiqué complètement le pouvoir ? A ne consulter que le Panégyrique de Trajan par Pline, il semble que le Sénat ait repris autant d’autorité que sous la République : et le même Pline, chargé d’administrer la Bithynie, ne connaît que l’Empereur, comme si le Sénat n’existait pas. Claudius Mamertinus, en prononçant l’éloge de Julien, le félicite d’avoir rendu aux consuls leur ancienne indépendance : et tous les textes d’alors nous montrent