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saurait rendre la subtile saveur toute « polonaise, » étrangement parfumée d’ironie souriante et de mélancolie. Après quoi, viennent encore, pour terminer le volume, quelques pages intitulées Dans une école prussienne : un simple tableau, et à peine esquissé, mais d’une signification si poignante pour tout cœur polonais ! Car il va sans dire que cette « école prussienne » estime de celles où, trop longtemps, l’âme et le corps de petits enfans polonais ont eu à subir les funestes effets d’une intempestive expérience de « germanisation. » L’instituteur au début de la classe, veut contraindre ses élèves à réciter la prière en langue allemande. « C’était un homme énorme, avec une barbe rouge qui encadrait comme d’une flamme ses joues grasses, semées de taches de rousseur. Ses yeux ronds, clignotant entre des paupières sanglantes, errèrent un instant sur les visages effrayés des élèves ; et puis, après avoir fait négligemment un signe de croix, il se mit à réciter, d’une voix machinale : Vater unser der Du bist… » A dix reprises, le terrible homme recommence les premières paroles de la prière, sans que la voix d’aucun des enfans consente à s’élever pour lui faire écho. Alors, peu à peu, le gros Allemand s’exaspère, enragé d’une obstination que ne suffisent à vaincre ni ses menaces ni le souvenir de ses coups des jours précédens ; et bientôt nous le voyons, une fois de plus, faisant comparaître tour à tour devant sa chaire chacun de ces petits rebelles, pour les punir de leur résistance :


L’instituteur devenait de plus en plus rouge et de plus en plus follement il assouvissait sa colère ; mais les enfans s’avançaient vaillamment, à l’appel de leurs noms, saisis d’une exaltation presque joyeuse, en murmurant tout bas, dans leur langue natale, la prière qu’ils allaient refuser de traduire dans la langue ennemie. Enfin l’homme, anéanti par leur héroïsme et sa propre fureur, leur ordonna de rester à leurs places.

Haletant de fatigue, il s’était accoudé sur sa chaire, et parcourait d’un regard haineux ces visages têtus, sillonnés de raies bleues ou tachés de sang. Mais avant qu’il eût achevé de se calmer, voici que là-bas, au dernier banc, se dressa une petite fille de sept ou huit ans, les lèvres roses, les yeux d’un bleu de ciel, avec deux petites nattes de lin tressées autour du front ; et voici qu’avec une gravité craintive elle s’avança vers la chaire, et, étendant timidement tantôt l’une, tantôt l’autre de ses petites mains, murmura, d’une faible voix toute pleurnichante :

— Et moi, monsieur, vous ne m’avez pas encore battue !


Il y a là, incontestablement, un talent romanesque de l’espèce la plus vigoureuse et la plus attachante, égal à ce que les autres littératures européennes possèdent aujourd’hui de plus remarquable. Et soit que M. Reymont ait de bonne heure étudié nos maîtres français, ou