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III

A la fin du régime féodal, lorsqu’ils cessèrent d’être un besoin, les châteaux furent un titre : ils n’étaient plus redoutables, ils devinrent somptueux. Par eux, au lieu de dominer, l’on brilla, avec des murs à l’épreuve des balles, mais non des écus. Aussi ces murs changèrent-ils de maîtres en même temps que d’aspect. Cette révolution qui fit, en architecture, du « tremeau » moyen âge, — partie de parapet entre deux embrasures, — le « trumeau » actuel, espace de mur entre deux fenêtres, fit, en histoire sociale, du châtelain en cuirasse un châtelain en veston. Depuis un Baudouin le Fourbe ou un Geoffroy le Barbu, spéculateurs en batailles du XIIIe siècle, jusqu’aux sires du XXe siècle, lutteurs d’usine ou de comptoir, des avènemens successifs finirent par loger dans la « Tour de la Ligue, » la « Chambre du Roi » ou le « Pavillon des Grâces, » les illustrations de la Banque, des Chemins de fer, du Charbon, des Vins mousseux, des Sucres, des Tapis, des Engrais, de la Métallurgie ou des Produits chimiques.

N’allez pas croire que la mainmise des hommes nouveaux sur les anciennes demeures soit un fait propre à notre temps. C’est un fait permanent depuis sept siècles et sans doute éternel. S’il paraît plus saillant de nos jours, c’est parce que les « arrivés » d’aujourd’hui gardent leur nom et que les « parvenus » d’autrefois prenaient le nom de leur terre ; un maître de forges achèterait aujourd’hui, de la descendance de Brantôme, éteinte dans la misère, l’immense domaine de Bourdeilles, qu’il ne se parerait pas comme Jean Bertin, bourgeois de Périgueux, enrichi dans la fabrication du fer, acquéreur de cette seigneurie en 1730, des titres de comte de Bourdeilles, seigneur de Brantôme et premier baron de Périgord. Si ce transfert de propriété nous frappe davantage depuis la Renaissance, c’est que les acheteurs, tous gens de finance, sont d’un autre métier que les vendeurs, gens d’épée, tandis qu’au moyen âge ils étaient tous de profession militaire, la seule qui permît aux laïques d’acquérir et de conserver.

Ne nous y trompons donc pas. Depuis trois siècles, ces châteaux seigneuriaux, que leur valeur d’art ou leur intérêt d’antiquité fait qualifier d’historiques, n’ont été maintenus, restaurés,